Tous les mercredis, écoutez Iris Herbelot discuter d'un sujet du secteur spatial. Tantôt sujet d'actualité ou bien sujet d'histoire, découvrez les enjeux du programme européen Hermès, de la nouvelle Ariane 6, ou encore de la place de l'Europe dans le programme Artémis. Ici, nous parlons des enjeux stratégiques pour notre continent d'utiliser l'espace pour découvrir, innover, et se défendre.
Nous nous retrouvons pour la deuxième partie de notre épisode consacré au programme lunaire européen, et uniquement européen. Nous avons discuté la semaine dernière de la Gateway lunaire, le projet américano-européen d'Artémis, et des modules d’Orion, la capsule habitée du programme. Vous nous disiez que l’ESA était responsable d’Orion, en tant que partenaire de la NASA dans Artemis, et que si Artémis était abandonnée, une version purement européenne d’Orion pourrait être réutilisée.
Ça fait beaucoup de si, mais le paysage politique mondial et américain –notamment– nous garde au bord de nos chaises en permanence. Et ce que je rappelais, c’est que l’ESA développe son propre programme lunaire, ce qui montre une prise de conscience et de position sur l’autonomie européenne, qui s’inscrit d’ailleurs dans une recherche d’autonomie de tous les secteurs en ce moment.
Qu’est-ce que le programme Argonaut que vous évoquiez en première partie ?
C’est un programme de rover lunaire pour lequel l’ESA a fait un appel d’offre qui a été accordé à Thales Alenia Space –encore eux, l’entreprise italienne phare du secteur spatial et de la défense– en janvier 2025. Le rover devrait être lancé dans les années 2030 sur une Ariane 6 et s’inscrit dans le programme Artemis, mais pas que. Argonaut a été conçu comme un rover polyvalent, qui peut jouer un rôle de support pour des missions lunaires habitées –c’est là qu’il serait très utile à une base lunaire– et un rôle de manutention pour transporter du cargo.
Qu’est-ce qui a motivé la conception d’un tel projet ?
L’ambition affichée et assumée de l’ESA sur le programme Argonaut est d’avoir un accès indépendant européen à la Lune. C’est pour ça qu’Argonaut n’est pas seulement un rover, c’est aussi un alunisseur –donc un atterrisseur lunaire– conçu pour se poser avec une grande précision –l’ESA vise 250 mètres de précision pour la première mission, et 50 mètres de précision pour les suivantes.
Et c’est un investissement coûteux – plus de 800 millions d’euros ont été provisionnés pour le projet ; mais qui montre aussi que l’ESA investit dans des programmes ambitieux et n’a pas peur de débourser des sommes importantes pour plusieurs programmes en simultané.
Quels autres programmes porte l’ESA pour un programme lunaire européen ?
On en parlait dans notre premier épisode, l’ESA est un partenaire majeur de la NASA dans le programme Artemis, et porte une responsabilité financière et technologique pour les modules de service d’Orion, et de la Gateway lunaire : près de 400 millions d’euros pour Orion et des centaines de millions supplémentaires à compter et à partager entre l’ESA et la NASA pour la Gateway. En plus de ça, le programme Moonlight de l’ESA vise à mettre en place une constellation de communication et de géolocalisation pour la Lune, donc encore une fois l’ESA s’inscrit très activement dans le retour des humains sur la Lune et l’occupation pérenne de notre satellite naturel.
Et en parallèle de tous ces programmes lunaires, l’ESA est engagée sur d’autres programmes scientifiques et d’exploration, bien sûr. On peut citer des programmes en cours comme BepiColombo, une mission d’exploration de notre système spatial, plus particulièrement Mercure, qui a été lancée en 2018 et qui devrait arriver à destination l’année prochaine. Et dans le cas de BepiColombo, l’ESA est partenaire d’une autre agence spatiale, la JAXA, qui est l’agence spatiale japonaise, ce qui montre que l’Europe n’est pas isolée en termes de coopération scientifique, politique et économique. On pourrait aussi évoquer les programmes d’observation du cosmos portés par l’ESA, comme Gaia et Cheops, qui cartographient l’univers et fournissent chaque jour des données précieuses aux astrophysiciens. Et puis l’ESA a aussi des ambitions martiennes, auxquelles il faudra consacrer un épisode à part entière !
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.