La chronique "L'éco, du concept au concret" part d'une idée simple : éclairer l'actualité économique et la rendre plus accessible avec Arnaud WITTMER, une fois par mois.
La dernière fois, vous évoquiez la proposition du temps de travail réglementaire en Espagne, et cette-fois ci, vous ce sera la semaine de quatre jours ?
Oui, je veux continuer à vous parler de conditions de travail, et aujourd’hui j’aimerais bien faire quelque chose d’un peu différent. A savoir, décortiquer le rapport sur la semaine de quatre jours en Angleterre de 2022.
Les résultats ont déjà été soulignés lorsque le rapport a été publié. Mais j’aimerais aussi vous montrer quelle est la méthodologie utilisée par les chercheurs, quelles sont les limites de leur travail, et ce qui se passe derrière les scènes, lorsqu’on prépare une expérimentation.
A part la Grande-Bretagne, est-ce que la semaine de quatre jours a été testé ailleurs ?
Oui, dans quelques entreprises, notamment chez Microsoft au Japon, ou Unilever en Nouvelle-Zélande, et de manière plus générale des expérimentations ont été mené par certains pays, notamment les Etats-Unis, l’Allemagne, et l’Espagne.
Malheureusement, ces études ne sont pas comparables en un clin d’œil.
Pourquoi ?
Pour une myriade de raisons, mais la première et la plus évidente est celle de la définition de la semaine de quatre jours.
Quelles sont les conditions qu’on met en place ? Y’a-t-il une réduction du temps de travail, ou arrange-t-on juste les horaires de telle manière à faire tout le travail en quatre jours ?
Et sur ce point, chaque étude est différente.
D’où l’idée de se concentrer sur une seule d’entre elles ?
C’est ça. Et l’étude réalisée en Grande-Bretagne a l’avantage d’être bien documentée.
D’abord, on sait comment les entreprises ont été approchées ; les chercheurs de Cambridge ont créé un échantillon d’entreprises potentielles, puis les ont contactés. Ce qui va contribuer à éliminer le biais d’auto-sélection.
Si un appel à participation avait été mis en place, les entreprises se seraient portées volontaires elles-mêmes. Donc, les entreprises qui auraient répondues auraient été les plus intéressées par l’expérience. Ce qui aurait biaisé les résultats.
Donc les chercheurs ont sélectionné les entreprises eux-mêmes. Et ensuite ?
Ensuite, il a fallu se mettre d’accord sur cette fameuse « définition » de la semaine de quatre jours. L’expérimentation a couvert 61 entreprises, et environ 2900 employés. Ces entreprises sont représentatives de tous les secteurs d’activité, du tertiaire et du secondaire. Elles sont également de différentes tailles, avec toutefois une seule entreprise de plus de 1000 employés.
Ce qu’on constate, c’est que les entreprises du secteur tertiaire, donc des services, sont présentes de façon disproportionnée.
Logique d’une certaine manière, c’est plus facile de s’adapter à cette nouvelle organisation en bureau qu’en usine.
Oui, tout à fait. C’est un effort organisationnel supplémentaire pour des industries, mais ce n’est pas impossible, d’où la présence du secteur secondaire dans l’échantillon. De la même manière, les défis d’une entreprise de
250 employés ne sont pas ceux d’une entreprise de 10 employés.
Au final, une définition fermée de la semaine de quatre jours ne pouvait pas fonctionner. Aucune entreprise n’aurait accepté de participer si cela mettait en danger son activité, et plus le système était rigide, plus l’activité allait être impactée.
D’où la nécessité d’un compromis, que je trouve très intéressant ; la définition de la semaine de quatre jours, dans l’étude, devient une « réduction significative du temps de travail, sans baisse de salaire », et ne comprend pas seulement le fait de supprimer un jour de travail.
Et donc, une fois les entreprises sélectionnées, et la définition fixée, est-ce que l’étude a démarré immédiatement ?
Non, pour rassurer les participants, et mieux préparer le processus, les scientifiques ont accompagné les entreprises dans l’élaboration de leur politique interne.
Notamment, mais pas seulement, avec des séminaires, des documents informatifs, ou encore des interviews de patrons ayant déjà mis en place la semaine de quatre jours…
Au final, chaque entreprise aura fait un peu les choses à sa manière.
Oui, et les scientifiques ont découpé les pratiques en cinq catégories.
Pour vous donner deux exemples ; une entreprise de jeux vidéo qui avait besoin que tous les employés soient là en même temps pour collaborer sur les projets a purement et simplement fermé ses locaux le vendredi.
D’un autre côté, un restaurant avec une activité saisonnière importante a décidé d’annualiser la réduction du temps de travail hebdomadaire (en passant aux 32 heures sans perte de salaire).
Mais alors, on a "seulement" 61 entreprises, avec quatre ou cinq entreprises par secteur d’activité, qui sont chacune de taille différente, avec des méthodologies d’implémentation de la semaine de quatre jours qui ne sont pas les mêmes… C’est représentatif de la diversité, mais on arrive quasiment à un cas unique d’étude à chaque fois.
C’est une limite, oui.
Cependant, quand on met les choses en perspective, cet essai a nécessité deux laboratoires d’études différents, une fondation spécialisée du sujet, un travail important pour sélectionner et contacter les entreprises.
Et je ne vous parle même pas de l’analyse des résultats plus de 2000 questionnaires remplis par les chefs d’entreprises et les employés.
Donc on défriche le terrain, mais qu’est ce qu’on garde comme conclusion ?
La conclusion est qu’on doit multiplier les essais pour confirmer ces résultats engageants. Ces études qualitatives doivent être complétées par des études quantitatives, qui seront chiffrées.
Le problème, c’est que pour pouvoir mener ces études, on a besoin d’entreprises qui mettent en place la semaine de quatre jours, et qui fournissent des données sur leur comportement. Pour ça, il faut qu’elles soient prêtes à essayer ce nouveau processus organisationnel.
Si on revient sur les résultats, qu’est-ce que l’expérimentation nous dit ?
D’abord, les entreprises ne constatent pas de perte de chiffre d’affaires malgré la baisse du temps de travail, ce qui est excellent, et on observe un meilleur équilibre de vie chez les employés, plus important encore chez les parents.
Mais il faut replacer le contexte ; cette réussite a notamment été permis par le travail de préparation réalisé en amont. Il fallait identifier « la » bonne recette. Réduire le temps de travail seul n’aurait pas suffi. Une industrie automobile qui tourne 24h/ 24 ne peut pas « juste » fermer le vendredi.
C’est une démarche d’élaboration collective, très bien documentée dans le rapport.
Et lorsqu’on regarde les raisons pour lesquelles les entreprises ont déclaré vouloir participer à l’étude, on retrouve des justifications morales ou éthiques, une volonté de différenciation pour attirer des travailleurs plus performants… des arguments qui ne sont pas inconnus en France.
Comme le conclut l’étude, il faut désormais passer de l’expérimentation à l’implémentation, et confirmer les résultats.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.