L'éco, du concept au concret

Quelle est la place de l'économiste dans les médias ?

Image par kalhh de Pixabay Quelle est la place de l'économiste dans les médias ?
Image par kalhh de Pixabay

La chronique "L'éco, du concept au concret" part d'une idée simple : éclairer l'actualité économique et la rendre plus accessible avec Arnaud WITTMER, une fois par mois.

Si le sujet de la taxe Zucman a été plus ou moins enterré par le gouvernement français pour le moment, les débats autour de cette taxation du patrimoine vous ont fait réaliser quelque chose, Arnaud ; on entend très rarement les économistes dans les médias…

On peut le dire, oui ! Cela faisait longtemps qu’un chercheur en économie n’avait pas proposé une mesure publique capable de capter autant l’attention de l’actualité, et encore moins d’être relayé avec autant d’écho dans les médias.

L’un des problèmes de l’économie dans nos médias, c’est qu’il est compliqué de différencier entre un éditorialiste, un journaliste spécialisé en économie, un financier, et un chercheur en économie. Les frontières sont brouillées, et Esther Duflo, prix Nobel en économie, l’a déjà critiqué.

Pour la citer, elle souligne dans son livre, Économie Utile pour des Temps Difficiles co-écrit avec Abhijit Banerjee, qu’il existe des « économistes médiatiques, difficiles à distinguer des économistes de métier. »

« Les économistes auto-proclamés de la télévision et de la presse […] se sentent souvent en droit d’ignorer le poids des faits et de la preuve. »

Une opinion assez tranchée sur la question donc !

Oui, et très engagée. Mais ça nous ramène à ce qu’est un économiste. Esther Duflo, par exemple, semble se rattacher à la proximité de l’économiste avec la recherche.

L’économiste de métier, pour elle, donc, se « confronte aux travaux de la science économique contemporaine ».

Est-ce qu’un scientifique en économie se limite à ça alors ?

Ça peut valoir la peine d’élargir la définition.


Un économiste est-il forcément un professeur à l’université, ou un agrégé en économie, fervent lecteur de recherche, peut-il également être considéré économiste ?

De la même manière, certains des prix Nobel d’économie n’ont pas fait d’études en économie, mais étaient par contre des mathématiciens accomplis. C’est le cas de John Nash, par exemple.

Et ensuite, il y a les spécialités de chacun.

Certains chercheurs en économie travaillent sur des données quantitatives c’est à dire numériques et chiffrées. Les données qualitatives, elles, sont issues d’entretiens. Un chercheur en macroéconomie vous dira peut-être qu’il n’est pas qualifié pour parler de microéconomie, tout en étant capable pendant plusieurs heures de tenir une conversation sur le sujet (et inversement d’ailleurs).

Donc au fond, l’économie, c’est autant une question de méthode que de regard sur les différents sujets.

Oui, et cela se ressent dans la manière dont les chercheurs communiquent.

La plupart des économistes refusent aussi de faire des prédictions dans les médias ; on peut discuter de données chiffrées, de résultats précis, voire d’interprétations de ces résultats. Mais un économiste de métier va rarement donner dans la futurologie.

Le problème, c’est que ce n’est pas sexy pour une prise de parole, que cela soit dans un média, à la radio, voir même dans la presse écrite. Si un journaliste pose une question, et que la mise en contexte de l’économiste dure pour les trois quarts du temps prévu de l’interview, on ne va pas dire grand-chose.

Mettre en avant des économistes médiatiques, ou des éditorialistes, permet de pallier à ce problème. Mais cela a un coût, souvent ; celui de la justesse de l’information.

Bon, comment pousse-t-on un économiste à prendre la parole alors ?

Et bien, le CNRS s’est posé la question cette année. En juin dernier, le Centre National de la Recherche Scientifique, qui est le plus grand organisme scientifique en France, a publié un « guide de l’expression publique des scientifiques ».

D’ailleurs, il ne s’adresse pas qu’aux économistes, plutôt à la communauté scientifique dans son entièreté.

Ce petit guide illustré a vu le jour à la suite d’une enquête de personnel en mars 2024, dans laquelle 80% des répondants considéraient que le CNRS devrait mener une réflexion sur l’expression publique de ses scientifiques.

Donc les scientifiques avaient déjà bien identifié ces problèmes autour de la prise de parole en public.

Oui, et il plusieurs craintes reviennent.

D’abord, les scientifiques redoutent parfois qu’une prise de position engagée sur une question ne fasse que réduire la valeur de leur travail.

Après tout, si leur travail est engagé, ne serait-il pas partisan ? Et si ce travail est partisan, en fait, est-ce qu’on peut réellement dire de sa recherche qu’elle est honnête ?

Et c’est clairement le genre de propos qu’on a pu entendre lorsque Gabriel Zucman défendait sa proposition de politique publique dans les médias. Malgré plus de 20000 citations de sa recherche par des pairs (ça a l’air de peu, mais en économie c’est un très beau chiffre), et le soutien de sept prix Nobel d’économie pour la mesure qu’il défend, on remet en question son travail parce-que ce dernier est engagé.

Après, cette logique de neutralité, on peut aussi la retrouver en journalisme.

Oui, c’est aussi un vieux précepte en sciences.

D’autant que les chercheurs des universités, quel que soit leur discipline, sont souvent des fonctionnaires, donc régis par le devoir de neutralité. Et ce devoir de neutralité reste trop largement défini, donc difficile à interpréter.

Dans son guide, le CNRS essaye justement de rassurer son personnel. Donner son point de vue en s’appuyant sur la recherche est tout à fait pertinent, et il est possible pour le chercheur de s’exprimer en tant que citoyen sur une question. Il suffit de le préciser.

Je pense que le meilleur passage de ce guide, ça reste cette illustration de deux chercheurs. Le premier porte un T-Shirt sur lequel est écrit « neutralité », et sur le T-shirt de la seconde chercheuse, on voit « fiabilité, quête d’objectivité, et rigueur ». Avec pour seul commentaire de la chercheuse « un peu démodé le tien, non ? ».

Et donc, on veut plus de chercheurs sur le devant de la scène !

Oui, parce-qu’à laisser l’espace médiatique à des pseudo-scientifiques ou des pseudo-économistes, on ne fait qu’augmenter, à terme, la méfiance que les gens vont avoir dans les sciences.

Face à une information de plus en plus libre, et de moins en moins vérifiée, le chercheur a un rôle toujours plus important dans la diffusion de l’information.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.