L'éco, du concept au concret

En Espagne, travailler moins pour gagner plus… en productivité ?

Photo de Miguel Á. Padriñán - Pexels En Espagne, travailler moins pour gagner plus… en productivité ?
Photo de Miguel Á. Padriñán - Pexels

La chronique "L'éco, du concept au concret" part d'une idée simple : éclairer l'actualité économique et la rendre plus accessible avec Arnaud WITTMER, une fois par mois.

Bonjour Arnaud Wittmer, début février, le gouvernement espagnol s’est accordé pour présenter un projet de loi sur une réduction légale du temps de travail, et ça a attiré votre attention…

Oui, c’est intéressant parce-que ça fait un moment qu’on n’a pas vu ce genre de mesures en Europe ! Dans le cas de l’Espagne, ce serait la première réduction du temps de travail depuis 40 ans.

Et pour cette réduction de temps de travail, le gouvernement souhaite passer d’une semaine de 40 heures à une semaine de 37,5 heures, c’est ça ?

Tout à fait, et en gardant le même niveau de salaire, donc on augmenterait en plus légèrement les revenus.

Alors par contre, le texte doit encore passer par le parlement. Le gouvernement espagnol espère que la loi pourra entrer en vigueur avant le 31 décembre de cette année.

Est-ce que la loi est garantie d’être adoptée ?

Plus ou moins. Pedro Sánchez ne dispose pas de la majorité absolue au sein du Congrès des Députés, l’équivalent de notre Assemblée Nationale. Donc tout dépendra des négociations avec les groupes de députés « neutres », qui ne sont ni dans l’opposition, ni dans la majorité relative.

Vous disiez que cela faisait longtemps que ce genre de débats sur la réduction du temps de travail n’avait pas eu lieu en Espagne. Alors pourquoi maintenant ?

Parce-que l’économie espagnole se porte bien, et que son taux de chômage baisse, même s’il reste plus élevé que la majorité des autres pays de l’UE, autour de 11%.

C’est un moment intéressant pour capitaliser sur ce genre de réformes. Économiquement, donc, et même politiquement, forcément, puisque la réforme est populaire.

D’autant plus populaire que le gouvernement espagnol possède le soutien des syndicats, qui défendent une réduction du temps de travail depuis plusieurs années.

Pour vous donner une idée, la ministre du Travail espagnole déclarait dans son annonce que la loi permettrait de régler une « dette » envers les travailleurs espagnols.

Quand elle parle de « dette », à quoi fait-elle référence ?

Au fait que le coût de la vie a augmenté ces dernières années, et que les salaires n’ont pas vraiment suivi.

Et puis enfin, un dernier argument avancé par le gouvernement espagnol, que je trouve être le plus intéressant, c’est celui que la réforme permettrait une hausse de la productivité.

La productivité, c’est quoi, en quelques mots?

C’est le rapport entre le résultat d’une activité qui produit quelque chose, et les moyens qui sont mis en oeuvre pour le produire. Un exemple très simplifié, ce serait de comparer un employé qui fabrique une voiture par jour, et un autre qui en fabriquerait deux.

Et en Espagne, la productivité progresse plus faiblement que celle des autres pays de l’Union européenne (UE), et ce depuis presque vingt ans.

Et réduire le temps de travail hebdomadaire, ça permettrait d’augmenter la productivité ?

Il y a des signaux qui sont plutôt clairs en effet. Plus la semaine de travail est longue, plus on constate une réduction de la productivité horaire chez les travailleurs. Au-dessus de 50 heures par semaine, l’effet est très visible.

Et cela s’explique par plusieurs raisons, que ce soit la fatigue, le stress accumulé, ou d’autres encore.

C’est intéressant parce-que ce genre de débats me fait un peu penser à ce qui se disait sur la semaine de quatre jours.

C’est un peu relié oui, comme avec le télétravail. Par contre, leur effet sur la productivité est moins clair.

La semaine de quatre jours n’augmente pas la productivité, mais ne la réduit pas non plus, si on en croit l’étude réalisée sur le sujet en Grande-Bretagne en 2023. Par contre, elle améliore la santé mentale et physique des employés.

Le télétravail, c’est pareil. Il permet aux employés de « reconquérir » une partie de leur journée, en évitant de perdre le temps de transport inhérent au fait de se rendre sur le lieu de travail.

Mais donc, pas d’effet positif sur la productivité ?

Pas systématiquement, non. Ou en tout cas, ce n’est pas certain.

Et c’est d’ailleurs le même type de problème qu’on va rencontrer pour évaluer les effets d’une réduction du temps de travail sur la productivité aujourd’hui.

Au-dessus de 50 heures par semaine, c’était plutôt évident, les effets sont clairement négatifs pour la productivité individuelle. En dessous de 40 heures, ça fait encore débat.

Est-ce que c’est le cas pour la réforme des 35 heures en France par exemple?

On peut se poser la question, mais pour ça, reposons le contexte. A cette époque, en 1997, la coalition de gauche venait de remporter les élections législatives anticipées après la dissolution du parlement par Jacques Chirac.

Lionel Jospin et Martine Aubry proposeront dans la foulée la réforme des 35 heures, qui entre en vigueur au début des années 2000.

Et bien, même encore aujourd’hui, les effets de la réforme, notamment sur la productivité, ou sur la quantité d’emploi disponible pour les travailleurs, ne sont pas clairs.

Pourquoi? Qu’est ce qui bloque exactement ?

En fait, on arrive pas à identifier correctement ce qui découle de la réforme et ce qui n’en découle pas.

La loi pour les 35 heures est entrée en vigueur dans le même horizon temporel que l'entrée en circulation de l’euro dans l’Union européenne. Et peu de temps après, la situation économique en France s’est améliorée, ce qui peut créer d’autres faux positifs.

Et même si on oubliait tout le reste, et qu’on ne parlait que de la loi, ce ne serait pas évident de comprendre son impact exact, et ça parce-que le texte aborde d’autres sujets que les 35 heures. Et donc, le texte va créer d’autres conséquences économiques. Ce qui rend le tout confus.

En fait, c’est pour ça que vous trouvez la réforme espagnole intéressante. Parce-que potentiellement, on étudiera ça dans quelques années !

Ah ça j’espère oui ! Même s’il faudra attendre un peu pour entrapercevoir les vrais effets induits par la loi.

L’avantage, c’est que plus on a de pays qui mettent en place de genre de mesures, plus on peut se poser de questions. Quel impact de la réduction du temps de travail sur la productivité ? Sur l’emploi ? Ou quel impact sur la qualité de vie des individus ?

Tout ça, ce sont des questions qui sont économiquement très intéressantes.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.