La chronique "L'éco, du concept au concret" part d'une idée simple : éclairer l'actualité économique et la rendre plus accessible avec Arnaud WITTMER, une fois par mois.
Bonjour Arnaud, aujourd’hui vous êtes avec nous pour parler un peu de protectionnisme c’est bien ça ?
Oui Laurence, tout à fait, c’est un mot qu’on entend beaucoup dans le débat public ces dernières semaines, donc je voulais passer un peu de temps avec vous sur celui-ci !
Depuis la réélection de Trump, officiellement confirmée le 9 novembre dernier, et sa volonté affichée de mettre en place des taxes douanières à l’encontre des biens de l’Union européenne et de la Chine, on entend le mot « protectionnisme » à tort et à travers.
À ce stade, on ne sait pas encore si ces tarifs douaniers seront réellement instaurés. Lors de sa précédente mandature, Trump avait effectivement augmenté les droits de douane sur certains produits, comme l’acier et l’aluminium par exemple, en visant particulièrement la Chine, qu’il considérait comme le principal rival économique des Etats-Unis.
Mais même si ces nouveaux tarifs douaniers souhaités par le futur président américain ne voyaient pas le jour, l’UE aurait peut-être intérêt à considérer le protectionnisme pour certaines industries.
Avant d’aller plus loin, est-ce que vous pourriez nous redéfinir ce qu’est le protectionnisme exactement ?
Simplement, pour commencer, le protectionnisme va désigner l’ensemble des mesures qui visent à réduire l’ampleur de la concurrence étrangère dans notre pays.
Par exemple, ces tarifs douaniers sur l’aluminium dont je vous parlais à l’instant. En les instaurant, les Etats-Unis cherchaient à accroître artificiellement le prix de l’aluminium étranger, ce faisant le rendant moins intéressant pour ses potentiels acheteurs au sein du pays que l’aluminium américain.
Ces taxes sont aussi un revenu pour l’Etat qui les met en place.
Mais est-ce que c’est une stratégie qui est forcément gagnante ?
Non, ce serait trop simple. Déjà, augmenter le prix de l’aluminium étranger va rendre les produits qui auraient besoin de cet aluminium moins compétitif ; les entreprises ont besoin de répercuter la hausse de ce coût quelque part.
Et d’un autre côté, il faut que la production nationale s’adapte et que les entreprises nationales produisent davantage du bien désormais sous l’effet d’un tarif douanier, ce qui ne se fait pas toujours.
Là, si ma mémoire est bonne, vous nous parlez surtout de barrières tarifaires, mais il existe d’autres formes de protectionnisme ?
Oui, il existe aussi le protectionnisme non-tarifaire, ou barrières non-tarifaires. Ici, plutôt que de privilégier une augmentation des taxes douanières, on va instaurer des quotas d’importation, ou défendre des normes sanitaires particulières.
Au sein de l’Union européenne par exemple, les mesures sanitaires qui existent pour protéger les consommateurs européens – on peut citer l’interdiction du bœuf aux hormones – sont considérées comme des barrières non-tarifaires par les Etats-Unis et le Mexique.
Il y a un probablement un fond de vérité à cette position outre-Atlantique, car cela permet de préserver le marché européen et garantir l’indépendance alimentaire de l’Union européenne, mais il y a également une véritable volonté de garantir des produits sains aux consommateurs européens.
Quelque chose que j’aimerais mieux comprendre avec vous, c’est comment les Etats-Unis, qui sont quand même dans nos esprits les plus grands promoteurs du libéralisme économique, en arrivent à défendre des mesures protectionnistes.
La réponse à cette question se trouve du côté de l’histoire avec un grand H !
D’abord, les Etats-Unis sont un pays qui a été, pour la plus grande partie de son histoire, protectionniste, d’une manière ou d’une autre. De George Washington et son chauvinisme vestimentaire, à Trump et sa volonté de réinstaurer des tarifs douaniers, les Etats-Unis ont toujours essayé de défendre au mieux, et au moins leurs industries stratégiques.
Les Etats-Unis ont souvent faire preuve d’une part d’hypocrisie sur la question de l’importance du multilatéralisme. Je l’avais mentionné dans une précédente chronique en évoquant Boeing ; malgré les problèmes du constructeur aérien, jamais les Etats-Unis ne la laisseront fermer.
Et aujourd’hui ?
Aujourd’hui, et plus généralement ces deux dernières décennies, on assiste à un changement de paradigme important.
S’il était relativement évident de promouvoir l’expansion du commerce international au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, à l’époque où tout était à reconstruire, et où les échanges commerciaux étaient à leur plus bas, c’est n’est plus le cas aujourd’hui.
D’abord, parce-que le commerce international a énormément progressé depuis la Seconde Guerre Mondiale, et donc, qu’il est difficile à faire progresser encore davantage.
On peut le voir rien que sur notre continent ; aujourd’hui, l’UE négocie des accords bilatéraux avec le Canada en tant qu’entité unique. Nous n’en sommes plus aux balbutiements de la CECA.
Et ensuite, parce-que deux des plus importants joueurs du commerce international, la Chine et les Etats-Unis, sont de plus en plus protectionnistes. La première subventionne énormément ses industries, et son entrée dans l’Organisation Mondiale du Commerce en 2001 n’y a rien changé, et le bloc Etats-Unien tente lui de faire pression sur leurs partenaires commerciaux.
Et l’Europe dans tout ça ?
ARNAUD : Eh bien, comme souvent, l’Europe se retrouve au milieu du conflit, et n’est pas certaine de la démarche à suivre.
L’UE mentionne dans ses traités l’importance du commerce international. On retrouve d’ailleurs dans le traité de Lisbonne, la volonté – je cite - « d’encourager l’intégration de tous les pays dans l’économie mondiale, y compris par la suppression progressive des obstacles au commerce international ».
L’ouverture économique fait partie de l’ADN de l’Union européenne. Ce n’est pas son réflexe le plus évident de revenir sur les traités. Même si elle protège déjà Airbus, et son marché alimentaire.
Et donc, quel intérêt pour l’UE de favoriser davantage le protectionnisme même si les Etats-Unis n’instauraient pas de droits de douanes supplémentaires ?
D’abord, la réponse évidente est que les autres grandes puissances le font. Et cela créé un désavantage compétitif.
Et ensuite, parce-que certaines entreprises ont besoin de se développer en sécurité sur un marché avant d’exporter leurs produits, c’est le concept de protectionnisme éducateur.
Les entreprises que l’UE doit développer sont technologiques et stratégiques. Elles auront du mal à survivre seules, surtout si la Chine et les Etats-Unis subventionnent leurs propres entreprises.
Et les risques ?
Ne pas pouvoir tenir la stratégie sur le long terme, ou ne pas réussir à se mettre d’accord entre membres de l’Union. Toujours les mêmes problèmes !
Une interview réalisée par Laurence Aubron.