La chronique "L'éco, du concept au concret" part d'une idée simple : éclairer l'actualité économique et la rendre plus accessible avec Arnaud WITTMER, une fois par mois.
Bonjour Arnaud, vous êtes doctorant en sciences économiques à Strasbourg et aujourd'hui, vous allez décortiquer pour nos auditeurs le concept de dette publique c’est bien ça ?
Bonjour Laurence, tout à fait, redéfinir le concept de dette, mais aussi celui de déficit, et essayer de comprendre les mécanismes qui gravitent autour de ces termes.
Sujet qui revient assez souvent dans l’actualité.
Effectivement, le sujet de la dette française – et de son déficit - revient souvent dans nos médias.
On évoque la dette car elle représente 110% de notre PIB. On en parle aussi parce-que notre déficit est supérieur à ce qui est attendu dans les critères de Maastricht (le fameux 3% de déficit maximum de la zone euro).
Il arrive aussi d’entendre les journalistes commenter la charge de la dette française, qui augmente ces derniers mois. Et enfin, on en parlait effectivement pour souligner que les taux d’emprunt français ont égalé ceux de la Grèce.
Et du coup, comment différencier ces différents termes ?
D’abord, pour commencer, il faut souligner que la dette est un stock, et le déficit est un flux. C’est-à-dire qu’on ajoute chaque année la somme du déficit à notre dette.
La dette publique est alors la somme totale de l’argent emprunté par la France. Le déficit, lui, représente l’argent emprunté durant l’année en cours, pour équilibrer les recettes de l’Etat avec ses dépenses.
Est-ce que le fait que la dette soit aussi élevée par rapport au PIB français peut poser problème ?
En fait, ce qu’il faut comprendre avec la dette, c’est que la France n’a pas vocation à rembourser les emprunts, seulement les intérêts de l’emprunt.
Une dette, pour un ménage – c’est-à-dire vous et moi – a vocation à être payée. Parce que la dette est rattachée à une personne, qui ne vivra pas éternellement.
Pour l’État français, c’est différent. Par définition, il perdure dans le temps. Donc c’est un acteur auquel on peut faire confiance, et qui est plus fiable qu’un ménage, ou même qu’une entreprise.
Et lorsque le PIB du pays croît, la dette devient plus relative.
Mais lorsque le prêt arrive à échéance, l’État doit tout de même le rembourser ?
Tout à fait. Et il emprunte pour le faire.
Lorsque l’État français souhaite emprunter de l’argent, il émet une obligation. Cette obligation est un titre de dette – la preuve que l’Etat vous doit de l’argent -.
Pour combien de temps ces obligations sont-elles émises ?
Deux ans, cinq ans, dix ans, vingt ans, voire trente ans. Plus la temporalité du prêt est longue, plus le taux d’intérêt sera élevé.
Et une fois que le titre de dette arrive à échéance, l’Etat va reprendre un crédit pour rembourser la précédente obligation. C’est ce qu’on appelle faire rouler la dette. On rembourse un emprunt grâce à un nouvel emprunt.
Au final, on ne paye que la charge de la dette, c’est-à-dire l’ensemble des dépenses qui sont consacrées à payer les intérêts de la dette.
Donc, ce qui pose problème, et ce qui nous coûte cher, c’est la charge de la dette. Et cette charge dépend des intérêts.
C’est ça. Lorsqu’on fait rouler notre dette, on emprunte avec un nouveau taux d’intérêt. Si le taux d’intérêt est plus haut, alors la charge de la dette sera plus élevée.
Et si la charge de la dette est plus élevée, le déficit sera plus important. En plus, certaines obligations sont émises à taux variables, donc le taux d’intérêt évolue directement dans le temps.
Est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur le taux d’intérêt ?
Oui, et on va même le décomposer.
Pour aller vite, le taux d’intérêt auquel l’État emprunte prend en compte quatre facteurs ; la rémunération du risque, l’inflation, l’attractivité de l’investissement et l’immobilisation des fonds du prêteur.
Premier élément, quand vous prêtez de l’argent à l’Etat, vous ne pouvez pas l’utiliser pour faire autre chose. On vous compense donc au titre de l’immobilisation de vos fonds. Plus les fonds sont immobilisés longtemps, plus la rémunération sera élevée.
Deuxième élément, un investissement est plus ou moins attractif. Et généralement, ce qui fait son attractivité, c’est sa rémunération. S’il existe des investissements sûrs, et mieux rémunérés ailleurs, alors on prêtera moins à la France.
Le taux d’intérêt dépend donc de l’attractivité du prêt, de l’immobilisation de notre argent, et ?
Et puis, troisième élément qui compose le taux d’intérêt, la rémunération du risque.
Lorsqu’un prêteur a peur que vous ne le remboursiez pas, il va demander à être rémunéré davantage. C’était le facteur principal de l’augmentation du taux d’emprunt en Grèce au début de la dernière décennie.
Enfin, quatrième élément, le taux d’intérêt va compenser le taux d’inflation. Lorsqu’il y a de l’inflation, cela veut dire que vous avez une perte de votre pouvoir d’achat. Et pour la compenser, on répercute cette perte sur le taux d’intérêt.
Est-ce que vous pouvez nous mettre tout ça en application ?
Allons-y ! Repartons un peu en arrière.
En 2020 et 2021, la France a emprunté à taux d’intérêts négatifs.
Le taux d’inflation est peu élevé, et la période est trouble. Les entreprises produisent moins, elles sont moins rentables. Donc on va privilégier des acteurs sûrs pour investir – les États.
La période est particulière. Il est très rare que les États puissent emprunter à taux d’intérêt négatif. Mais cela a duré pendant deux ans.
Sauf qu’à partir de 2022, l’inflation a augmenté.
Tout à fait. Et lorsque l’inflation a augmenté, le taux d’intérêt aussi. Sauf que c’était moins grave, parce-que l’inflation sous-entend aussi que la dette pèserait moins.
Et aujourd’hui ?
Et aujourd’hui, ce qui fait augmenter le taux d’intérêt, c’est la rémunération du risque. La France est considérée instable politiquement, et donc, il est plus risqué de lui prêter. Et ça, c’est un problème.
Parce-que si le cela dure, le déficit sera de plus en plus élevé, et il sera plus difficile de le financer. Et le mécanisme tend à s’auto-entretenir. C’est en partie ce qui a causé la crise de la dette en Grèce. Mais pour le moment, nous n’y sommes heureusement pas encore.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.