Tous les mercredis, retrouvez Tarinda Bak sur euradio pour sa chronique intitulée "L'européenne de demain", dans laquelle il sera question des combats menés par les femmes en Europe et partout dans le monde.
Que nous offre l’Union européenne cette semaine ?
Ce mercredi 15 février, lendemain de saint Valentin pour certains, mais pour d’autres, il s’agissait là d’une tout autre signification, et plus particulièrement pour les membres du Parlement européen. Ces derniers ont voté pour la ratification de la Convention d’Istanbul avec 469 voix pour, 104 contre et 55 abstentions.
Pouvez-vous rappeler quel est l’objet de la Convention d’Istanbul ?
La convention d’Istanbul est le premier instrument en Europe, à établir des normes contraignantes, visant spécifiquement à prévenir les violences fondées sur le genre, à protéger les victimes de violences, et à sanctionner les auteurs. Adoptée en 2011 et entrée en vigueur en 2014, elle n’a jamais été ratifiée pour autant, et ce, en raison de l’opposition de plusieurs États membres comme la Bulgarie, la République Tchèque, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie et la Slovaquie.
L’Union européenne, peut-elle ratifier la Convention d’Istanbul sans avoir l’accord de tous ses États membres ?
Alors oui Laurence, puisque la Cour de justice de l’UE, a rendu un avis le 6 octobre 2021, en établissant que l’Union européenne pouvait tout à fait le faire, et ce, sans ayant l’accord des 27 États membres. C’est d’ailleurs cet avis qui a permis d’ouvrir la voie à ce vote.
En quoi la convention d’Istanbul est-elle efficace pour lutter contre les violences sexistes ?
Alors, on peut distinguer ses actions en 8 points. Tout d ‘abord, elle définit et criminalise différentes formes de violence à l’égard des femmes comme la violence physique, sexuelle ou psychologique, mais également le harcèlement, les mutilations génitales féminines et les mariages forcés. Puis, elle prévient les violences à travers l’investissement dans des campagnes de sensibilisation, d’éducation et de formation pour les experts, tout en abordant la question du rôle des médias dans l’élimination des stéréotypes sexistes. Sans oublier la nécessité d’une collection des données sur les infractions liées au genre.
Quant à la question d’asile et des migrations, est-elle omise de la Convention ?
Pas du tout, car on retrouve au sein de la Convention l’exigence que les violences sexistes soient reconnues comme une forme de persécution lors de l’établissement du statut de réfugié. D’ailleurs, il est intéressant Laurence de s’intéresser aux trois derniers points de la Convention.
Lesquels ?
Tout d’abord, l’adaptation d’une approche transfrontalière, obligeant ainsi les États à étendre leur compétence aux crimes commis à l’étranger par leurs ressortissants. Il y a également l’introduction d’une définition du genre.
Il est défini comme « les rôles, les comportements, les activités et les attributions socialement construits, qu’une société donnée considère comme appropriés pour les femmes et les hommes », opposé à la définition habituelle fondée sur le sexe de la personne, n’est-ce pas ?
Parfaitement. À ce propos, la Convention d’Istanbul se porte aussi bien sur les hommes que sur les femmes en tant que victimes potentielles.
Mais pourquoi est-elle controversée ?
Tout d’abord, six États membres ne l’ont pas encore ratifiée. Sans parler du fait que la Convention a été largement critiquée par les conservateurs européens, et par la Pologne notamment. Cette dernière a même demandé à son Tribunal Constitutionnel de l’examiner, afin de savoir si elle était conforme à sa Constitution.
À ce propos, la Pologne n’a-t-elle pas débattu au sujet de son retrait potentiel de la convention, en raison notamment de craintes qu’elle n’entraîne un enseignement des questions de genre aux enfants dans les écoles ?
Tout à fait. Cette volonté de retrait ne fut pas le seul, car la Turquie, s’est quant à elle, retirée totalement de la Convention en 2022, tout en ayant le soutien de son plus haut Tribunal administratif.
De nombreux débats ont dû surgir ce mercredi 15 février, notamment avec la position de la Hongrie.
Effectivement, par exemple, un député européen hongrois a accusé le Parlement européen de : » pression idéologique et de violation des compétences nationales lors du débat sur la Convention d’Istanbul ». Les positions étaient loin d’être unanimes puisque d’autres, notamment l’eurodéputée suédoise Arba Kokalari, et rapporteure de la commission des Droits des femmes et de l’Égalité des genres du Parlement, a partagé qu’ « il est temps que l’UE ratifie la Convention d’Istanbul », car « L’UE doit passer des paroles aux actes pour mettre fin aux violences basées sur le genre, protéger les victimes et punir les auteurs de violences. »
Un mot pour la fin ?
62 millions. 62 millions, c’est le nombre de femmes européennes qui ont subi des violences sexuelles et physiques. Alors à votre avis, la Convention d’Istanbul devait-elle être ratifiée ?