La semainière de Quentin Dickinson

Le plus bruyant s’avère souvent le plus périssable – Quentin Dickinson

Ludovic Marin - AFP Le plus bruyant s’avère souvent le plus périssable – Quentin Dickinson
Ludovic Marin - AFP

Alors, avez-vous passé une bonne semaine ?

Merci de me poser la question. Et la réponse, c’est : probablement, du moins si l’on se fonde exclusivement sur le caractère significatif et durable de plusieurs informations de ces derniers jours.

Que voulez-vous dire au juste ?

C’est la hantise de tout journaliste : bien distinguer à chaud ce qui n’est que passager de ce qui engage réellement l’avenir. Et le plus bruyant s’avère souvent le plus périssable.

Donc, que s’est-il produit au cours de la semaine écoulée qui, selon vous, est destiné à perdurer ?

D’abord, évidemment, la victoire électorale de Recep Tayyip ERDOĞAN, qui lui ouvre un nouveau mandat qui, à sa fin, lui aura permis de rester à la tête de la Turquie pendant trente ans. Pour l’heure, l’avenir du pays paraît sombre : inflation galopante, effondrement de la monnaie nationale, la Livre, économie stagnante, corruption institutionnalisée, exil des jeunes diplômés - tout cela sur fond de fin de la candidature à l’Union européenne et de relation ambigüe avec l’OTAN.

Passé inaperçue, la nomination de Mme Mahinur ÖZDEMIR aux fonctions de ministre déléguée à la Famille vaut aussi pied-de-nez aux Européens ; fille d’un épicier de SAINT-JOSSE-ten-NOODE, quartier turc de BRUXELLES, cette jeune personne avait été élue députée belge – la première à porter le voile en toute circonstance – avant d’être exclue du parti libéral pour avoir publiquement et à plusieurs reprises nié la réalité du génocide arménien.

Sa carrière politique se poursuit donc à ANKARA. Bon vent, Madame le Ministre.

Autres faits saillants ?

Victoire pour M. ERDOĞAN, mais cuisante défaite pour M. Pedro SÁNCHEZ aux élections locales et régionales en Espagne. Ainsi chancèle le premier gouvernement de coalition depuis la mort du Généralissime FRANCO en 1975 et le rétablissement de la démocratie dans ce pays. Alliés du Parti socialiste ouvrier de M. SÁNCHEZ, les partis PODEMOS et CIUDADANOS sont marginalisés ; en revanche, le Parti populaire, démocrate-chrétien, est le grand gagnant, de MADRID aux Baléares en passant par l’Extrémadoure et VALENCE, et rien ne paraissait pouvoir freiner la course vers les fonctions de Président du Gouvernement du patron du Parti populaire, M. Alberto NÚNEZ FEIJÓO – mais…c’était sans compter avec l’extraordinaire coup de dé de M. SÁNCHEZ, qui a immédiatement fixé au 23 juin les législatives qu’on attendait pour la fin de l’année, coupant ainsi l’herbe sous les pieds de l’opposition, comme de ses rivaux.

Qu’avez-vous encore retenu ?

Deux informations aussi encourageantes qu’inattendues, et une troisième, prévue et désolante. Commençons par celle-ci : sous prétexte de supprimer l’influence russe en Pologne, le gouvernement nationaliste et eurosceptique de ce pays vient de créer un Comité d’État, chargé d’interdire, de façon permanente, l’accès à toute fonction officielle à tout suspect de russophilie militante.

Le soupçon est lourd, ici à BRUXELLES, que les cibles véritables sont les dirigeants de l’opposition pro-européenne, et, en particulier, leur chef, Donald TUSK, Président du Conseil européen en d’autres temps.

Quant aux deux bonnes surprises, il s’agit d’abord du discours d’Emmanuel MACRON à la Conférence GLOBSEC en Slovaquie, sur les impératifs de défense et de sécurité collective des Européens, tels qu’ils apparaissent dans l’urgence depuis l’agression russe contre l’Ukraine. Remarquablement charpenté et documenté, ce discours constitue une boussole pour l’ensemble des gouvernements du continent. Je ne puis trop inciter nos auditeurs à l’écouter (on le trouve facilement sur l’Internet, et il dure 35 minutes). On notera quelques passages d’autocritique, qui ne constitue pas un registre habituel chez le Président de la République.

Et l’autre heureuse nouvelle ?

J’ai un peu de mal à le confesser, car il s’agit de la réunion en Moldavie de la Communauté politique européenne…autre initiative de M. MACRON. Contre toute attente, cette réunion, tenue à une vingtaine de kilomètres de la frontière ukrainienne, a permis d’envoyer au Kremlin un message d’unité et de fermeté des Européens (on a noté que M. ERDOĞAN s’est décommandé au dernier moment, ce qui n’a semble-t-il chagriné personne).

Et j’ajoute un autre exemple de fermeté : c’est celui d’une forte majorité au Parlement européen, qui ne veut en aucun cas que la Hongrie, agressivement eurosceptique et prorusse, exerce la responsabilité de la présidence tournante du Conseil de l’UE au second semestre de l’année prochaine.

Un dernier mot, sur la semaine actuelle, je crois…

Non, pas la semaine, juste aujourd’hui, mardi 6 juin, dont voici mon carnet du jour : Rapport annuel de l’Office antifraude européen ; Sommet de la Démocratie Vivante ; Conférence de l’Agence européenne des Médicaments ; Conférence de presse du Groupe des Verts au Parlement européen ; Colloque de la Médiatrice européenne sur l’Éthique ; et Forum économique de BRUXELLES.

Alors, oserais-je proposer qu’ici, dans l’Eurobulle bruxelloise, les organisateurs d’événements en tous genres se concertent enfin entre eux avant de charger la barque des 854 malheureux journalistes accrédités auprès de l’UE ?

Entretien réalisé par Laurence Aubron.