Retrouvez chaque semaine la semainière de Quentin Dickinson sur euradio. L'occasion de découvrir la diplomatie et l'actualité européenne sous un nouvel angle.
Alors, Quentin Dickinson, avez-vous passé une bonne semaine ?...
Plutôt variée, en fait, car agrémentée de quelques surprises, dues à trois hommes, chacun de son côté et sans concertation, et qui ont fait tanguer le tranquille train-train européen.
La principale surprise est incontestablement l’annonce de la démission fracassante de Thierry BRETON de ses fonctions de Commissaire européen au Marché intérieur. Bien sûr, on savait qu’à de multiples occasions, l’intéressé la jouait plutôt personnelle, mais il a bien fallu reconnaître que c’était généralement à bon escient, et que personne ne se plaindra que l’agaçante lenteur des procédures internes à la Commission européenne soient contrées par le dynamisme de chaque instant du bouillant Français, rompu aux décisions rapides, habituelles dans le monde des affaires dont M. BRETON est issu.
Ainsi se souviendra-t-on longtemps à quel point il avait pris le taureau par les cornes, alors qu’il s’agissait de revitaliser les industries européennes de défense, afin d’équiper l’Ukraine : en quelques jours, il avait visité la quasi-totalité des usines d’armement de l’Union européenne, sans trop demander la permission à quiconque, et surtout pas à la Présidente de la Commission, Ursula von der LEYEN, avec qui la mésentente était permanente.
Rendue publique lundi matin avant que la destinatrice en ait pris connaissance, la lettre de démission de Thierry BRETON révèle les dessous des tentatives de Mme von der LEYEN d’écarter M. BRETON de la future Commission, alors que son nom avait été officiellement proposé par le Président MACRON.
Discrètement, la Présidente de la Commission serait intervenue auprès de l’Élysée pour faire désélectionner M. BRETON, pour « des raisons personnelles » non-explicitées. Celui-ci a donc coupé l’herbe sous le pied de Mme von der LEYEN, tout en lui reprochant au passage la médiocrité et l’incorrection de ses méthodes de gestion.
Or, Ursula von der LEYEN s’apprêtait à présenter aux députés européens, réunis en plénière ici à STRASBOURG, la composition complète des vingt-sept membres de la Commission, qui doit entrer en fonctions vers la fin de l’année. La France, qui souhaitait obtenir un vaste portefeuille pour M. BRETON, propose à la place de celui-ci le ministre démissionnaire des Affaires étrangères, Stéphane SÉJOURNÉ. Débarrassée de M. BRETON, Mme von der LEYEN insistait pour que la candidature proposée par la France soit celle d’une femme. Elle en est pour ses frais, petite consolation pour Thierry BRETON. Et pour l’heure, la confusion reste totale.
Vous parliez de trois hommes ; qui est le suivant ?...
C’est le Haut-représentant de l’UE pour les Affaires étrangères et la Politique de Sécurité, le socialiste espagnol Josep BORRELL. A soixante-dix-sept ans, il ne sollicite pas sa reconduction, mais s’autorise régulièrement quelques vérités assez peu diplomatiques.
Notre homme vient de prononcer une mise en garde musclée contre le soutien en sous-main de la Chine à l’effort de guerre de la Russie en Ukraine ; de même, il stigmatise la lenteur des réactions de l’industrie européenne aux coups de boutoir répétés de PÉKIN dans à peu près tous les aspects de l’économie.
Le déferlement dans l’UE des panneaux solaires et des voitures électriques chinois lui donne raison ; mais aussi un rapport tout frais de l’Institut européen des Études de Sécurité, qui estime que sont dépassées les méthodes et les structures du Service européen d’Action extérieure, qui aspire à fonctionner comme un ministère des Affaires étrangères, et que dirige M. BORRELL. Ce document avance dix idées pour refondre le positionnement géopolitique de l’Europe dans un monde déboulonné, où elle peine à se définir une ligne cohérente et propre à inspirer le respect, à défaut de l’admiration.
Et le troisième larron est…
…Jens STOLTENBERG, le Secrétaire général de l’OTAN, lui aussi vivant ses derniers jours dans cette fonction, avant d’aller diriger l’incontournable Conférence annuelle de Sécurité à MUNICH. Son jugement sur la difficulté à faire agir ensemble les trente-deux pays de l’Alliance atlantique tient en une phrase terrible : « Aujourd’hui », dit-il, « nous donnons des armes aux Ukrainiens pour qu’ils fassent la guerre ; il y a dix ans, nous aurions bien mieux fait de leur donner des armes pour éviter la guerre ».
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.