Dans les locaux de Euradio Strasbourg, Garance Foglizzo, jeune française de 23 ans, a répondu à nos questions, au micro de Romain L'Hostis, sur son projet ambitieux du DigniTour à travers tout le continent, pour alerter sur les conditions d'accueil des migrants dans l'Union Européenne.
Garance, peux-tu présenter un peu ton parcours et ce qui t’a poussé à créer ce projet via cette association ?
Le Digni Tour est un parcours en vélo en Europe pendant 4 mois et demi, pendant lesquels je vais témoigner des conditions d’accueil des migrants, et surtout promouvoir l’initiative citoyenne européenne (ICE) Dignity in Europe. Donc Strasbourg c’est ma première étape, je suis partie hier de Rennes. Ce projet a commencé il y a maintenant un an et demi, qui était proposé par la ville de Rennes, qui avait proposé des ateliers thématiques aux citoyens, en les invitant à proposer des initiatives citoyennes, donc des propositions législatives à faire à l’Union européenne, pour changer la législation européenne. Et moi, j’avais participé à l’animation d’un atelier sur la cohésion sociale, dans le cadre de mon Master en droit européen, et j’avais apporté des informations sur le cadre actuel législatif sur l’accueil des migrants en Europe. C’est un atelier qui avait regroupé des collégiens, des étudiants, des citoyens, des associations locales qui s’occupent de thématiques liées à la migration à Rennes. On avait écouté un plaidoyer des collégiens du Collège de Rosa Parks à Rennes, qui expliquaient qu’ils n’acceptaient pas la situation actuelle et qui avaient un tas de propositions : par exemple donner 3 repas par jour à des personnes migrantes etc. Et à partir de ces idées, on les a affiner, car pour proposer une initiative il faut que ce soit quelque chose sur lequel l’Union européenne pourra agir dessus.
Juste pour rappel tout ce travail de recherche et de préparation au préalable, nous sommes pendant tes études ? Donc en 2022 ?
Voilà, dans le cadre de mon Master 2, donc l’an dernier. On nous avait proposé d’animer ces ateliers, et on avait travaillé au sein de ce groupe citoyen sur la dignité, la solidarité et on avait fait des propositions, vérifié la recevabilité de ces propositions dans la compétence de l’Union européenne, et on avait affiné cela pour en arriver avec une proposition qui est d’assurer un accueil digne des migrants en Europe. Et c’est ce qu’on demande à l’Union européenne aujourd’hui.
Quels sont les principaux défis ou problématiques que tu as identifiés avant de créer ce projet ? Qu’est-ce que tu as eu envie de corriger ?
Ce qui est vraiment important, c’était les personnes sans logement. C’était le constat qu’à Rennes, [...] il y a des personnes immigrées qui sont à la rue, sans logement. En ce moment même il y a des familles qui sont à la rue. Donc c’était se demander pourquoi ces personnes sont sans logement. Je sais que les collégiens, une de leurs préoccupations c’était de savoir si ces enfants vont à l’école, ont vraiment un accès à l’éducation. Et il y a des personnes avec des titres de séjour qui se retrouvent quand même à la rue, et ça c’est lié à la grande précarité générale.
Et tu inclus ces personnes là aussi dans l’accueil digne des migrants ?
Alors c’est là où il faut faire une précision : l’ICE, l'initiative citoyenne vise spécifiquement des textes, un règlement et une directive européenne, qui visent spécifiquement les demandeurs d’asile. Mais moi, dans mon Digni’Tour, quand je parle de témoigner de l’accueil des migrants, je parle de toutes les différentes catégories, je cherche à la fois à témoigner des conditions d’accueil des demandeurs d’asile, des réfugiés, des migrants économiques, même les déplacés d’Ukraine.
Ce qui donne vraiment une dimension démocratique européenne à ton projet, c’est le fait qu’il s’agisse d’une initiative citoyenne européenne. Peux-tu nous expliquer un peu plus en quoi consiste ce mécanisme de nos démocraties en Europe ?
Donc une initiative citoyenne européenne, ou ICE, est prévue par le droit européen. C’est une possibilité pour les citoyens, de proposer soit une nouvelle législation, soit une modification de la législation actuelle. Pour ce faire, il faut qu’ils fassent une proposition de loi, par exemple ici assurer un accueil digne des migrants, on a proposé plusieurs mesures qui assureraient cela. Et au niveau européen, il faut composer un groupe d’organisateurs d’au moins 7 Etats différents, et il faut que ces organisateurs portent ensemble l’initiative, qui est enregistrée à la Commission européenne. Une fois qu’elle est enregistrée, les organisateurs ont un an pour récolter un million de signatures. Lesquelles doivent là aussi provenir d’au moins 7 Etats de l’Union européenne.
Est-ce que cela a été difficile de réunir 6 autres partenaires organisateurs de l’Union européenne ?
Alors ce n’est pas moi qui les ai trouvé. Cette ICE est épaulée par de nombreuses structures, associations, ainsi que la ville de Rennes, ce qui est assez inédit pour une ICE. Donc c’est grâce à ces réseaux. Cela montre d’ailleurs la difficulté et l’ampleur d’une ICE : il faut déjà connaître certaines personnes dans toute l’Europe. [...] Ce n’est malheureusement pas à la portée de tous les citoyens. Il faut un financement, des réseaux, et c’est en quelque sorte un travail à temps plein. Et même alors, parmi les centaines d’ICE qui ont déjà été proposées, je crois qu’il n’y en a que 7, ou je crois 8, qui ont franchi le million de signatures.
Imaginons qu’on obtienne ce million de signatures comme c’est le cas parfois, cela obligerait les institutions de l’Union européenne à étudier cette proposition de loi ?
Alors, la Commission europénne est obligée de se positionner dessus, donc soit donner un avis favorable ou défavorable. [...] Et le Parlement européen doit en débattre, mais cela ne les oblige pas à acter et agir sur les propositions. Mais ce qui a été super ici sur cette ICE à Rennes, ça a été la mobilisation, le travail de plein de partenaires ensemble. Et c’est cette mobilisation qu’on veut continuer, qu’on atteigne le million de signatures ou pas. Par exemple, des actions comme ce Digni’Tour, ou encore à Rennes ils vont créer un Parlement de rue.
Dans combien de villes européennes vas-tu t’arrêter dans le cadre de ce projet ?
Je sais qu’il y aura 12 pays. Donc une quinzaine ou vingtaine de villes-étapes. Mais dans certains pays, je ne sais pas encore où je vais m’arrêter. Et c’est ça qui est bien avec ce voyage à vélo, c’est de pouvoir m’arrêter un petit peu quand et où je veux. [...] Il y a des choses et rencontres qui sont confirmées depuis des semaines, mais après aussi toute une place pour la spontanéité. Les personnes que je cherche à rencontrer sont des personnes migrantes, des collectifs, des assos de personnes migrantes qui peuvent parler de leur expérience du système d’accueil en Europe, ou alors des ONG qui travaillent avec des personnes migrantes, mais aussi des juristes, des personnes élues. C’est toujours très intéressant pour avoir des informations sur des questions de budget, de législation, d’organisation territoriale pour avoir à terme un accueil digne des migrants. L’idée dans ce projet est de mobiliser les jeunes de tout le continent européen sur la question de la dignité de l’accueil des migrants. [...] Et le but final de ce voyage, c’est de créer un fanzine, entre un tract et un magazine, vraiment collaboratif réalisé avec les jeunes rencontrés pendant mon voyage, avec des pistes de solutions et qui répondraient aux enjeux identifiés avec les interlocuteurs.