Les femmes ou les "oublis" de l'Histoire

Margaret BULKLEY

© Teamcolibri.org Margaret BULKLEY
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Avec sa chronique Les femmes ou les "oublis" de l'Histoire, Juliette Raynaud explore "les silences de l'Histoire" (Michelle Perrot) et nous invite à (re)découvrir notre matrimoine oublié, une histoire après l'autre...

Vous connaissez Margaret Bulkley ?

Plus connue sous le nom de Dr James Barry, elle fut une chirurgienne militaire brillante qui imposa de nouvelles normes médicales sur 3 continents.

Au cours de sa carrière, entre 1815 et 1865, elle fut postée dans les colonies britanniques où elle améliora considérablement les conditions de vie des patient·es et forma les équipes médicales locales.

Elle réalisa notamment la première césarienne des colonies où femme et enfant survécurent et mis au point un traitement végétal contre la syphilis et la gonorrhée.

Progressiste, elle prôna sans relâche le droit des femmes, des Noir·es, des pauvres à avoir accès aux soins.

Margaret Ann Bulkley naît en 1789 à Cork, en Irlande, dans une famille catholique de classe moyenne pauvre.

Après l’emprisonnement de son père endetté, elle et sa mère trouvent refuge chez son oncle, le peintre James Barry qui enseigne à l’Académie royale de Londres. Evoluant dans le grand monde londonien parmi les hommes politiques, intellectuels et artistes amis de son oncle, elle bénéficie d’une éducation rare pour une petite fille à l’époque.

En 1806, elle hérite de son oncle et entreprend de faire médecine mais l’université et la médecine sont interdites aux femmes... Grâce au soutien d’hommes aux idéaux égalitaires et féministes comme le général Miranda, elle intègre l’université d’Edimbourg en 1809 sous le nom de James Miranda Barry.

Brillante élève, Margaret rejoint le prestigieux Collège royal de chirurgie de Londres et devient, dans le plus grand secret, la première femme médecin britannique en 1812.

Après avoir été l’assistante du chirurgien Astley Cooper, elle s’enrôle dans l’armée.

À 26 ans, le Dr. James Barry, chirurgien militaire, est mutée au Cap, en Afrique du Sud. À la pointe des dernières avancées scientifiques médicales, elle impose d’importantes réformes sanitaires et des mesures d’hygiène rigoureuses : lavage de mains systématique, alimentation saine, pas d’alcool, pas de promiscuité, pas de chauffage au charbon.

Féministe anti-esclavagiste éclairée, elle met un point d’honneur à ce que patients et patientes soient traité.es avec les mêmes égards et prône le droit des femmes, des Noir·es et des pauvres à avoir accès aux soins. Malgré une hiérarchie réticente, elle se bat pour améliorer les conditions de vie de ses patients et former les équipes médicales.

On raconte qu’elle aurait giflé un officier avec sa cravache parce que ce dernier aurait laissé entendre qu’elle ressemblait à une femme, qu’elle aurait provoqué en

duel un homme lui ayant manqué de respect, qu’elle aurait battu une infirmière l’ayant surprise en train de se changer... Il paraît même qu’elle se serait disputée avec Florence Nightingale, pionnière des soins infirmiers.

De fait, il faut un sacré tempérament pour renoncer à son identité ! Et une vigilance permanente pour ne pas se faire repérer… A moins que son attitude de « dur à cuir » soit une tentative de camoufler sa féminité ?

Ce qui est sûr c’est que sa vision progressiste dérange mais Margaret ne lâche rien. Officier militaire, elle court-circuite la chaîne hiérarchique et malgré les problèmes qu’elle rencontre, elle fait baisser le taux de mortalité et améliore considérablement les conditions de vie des malades partout où elle passe.

Trinité-et-Tobago, Malte, Chypre, Corfou… Au Cap, elle améliore le système de distribution d’eau et réalise la 1ère césarienne réussie en Afrique – entendre que tout le monde survit à l’opération, mère et enfant. Sur l’île Maurice, elle jugule une épidémie de choléra. En Jamaïque, elle a des démêlés avec la justice pour avoir voulu soigner des prisonniers. Pour aller prêter main forte aux soignant·es en Crimée, elle prétexte des vacances et y va contre l’avis de sa hiérarchie (c’est là qu’elle rencontre Florence Nightingale).

A la fin de sa carrière, elle est promue Inspecteur général des hôpitaux au Canada, le grade le plus élevé du système de santé.

Personnage extravagant qui ne quitte jamais son uniforme et ses chaussures à talonnettes, ce n’est qu’à sa mort en 1865 qu’on s’apercevra qu’elle était une femme.

Margaret Bulkley ne voulait pas que ce « scoop » vienne ternir sa carrière mais Sophia Bishop ne tint pas compte de sa demande d’être enterrée sans soins : en lavant son corps, elle découvre que le brillant docteur était une femme et qu’elle avait même porté un enfant. Elle vend l’information à la presse.

Après 40 ans de service dans l’armée britannique et après avoir réformé les normes médicales sur 3 continents, Margaret Bulkley est moquée et on la fait passer pour une jeune femme énamourée qui a fait semblant d’être médecin pour rejoindre un amant en Afrique du Sud.

Ce n’est juste pas possible qu’une femme ait fait tout ça !

Pendant un siècle, l’armée britannique placera sous scellés tout ce qui concernait Margaret Ann Bulkley.

Il faudra attendre la fin des années 1950 pour que l’historienne Isobel Rae ait accès à ces archives et rende à Margaret ce qui est à Margaret.

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