Avec sa chronique Les femmes ou les "oublis" de l'Histoire, Juliette Raynaud explore "les silences de l'Histoire" (Michelle Perrot) et nous invite à (re)découvrir notre matrimoine oublié, une histoire après l'autre...
Vous connaissez Sarah Chapman ? Sarah Chapman mena la grève historique des allumettières de Londres en 1888. Ces ouvrières sont des pionnières de la lutte pour les droits des femmes et l’égalité au travail. C’est la première grève d’ouvrières sans qualification de l’histoire britannique, à l’origine de la création du plus grand syndicat féminin : l'Union of Women Match Makers, le syndicat des allumettières.
Sarah Chapman naît en 1862 dans l’East End à Londres, un quartier misérable, dans une famille de 7 enfants. Ses parents sont des travailleurs pauvres mais tiennent à ce que leurs enfants sachent lire et écrire.
A 8 ans, comme le prévoit la loi, elle part travailler à l’usine. Elle y rejoint sa mère et sa soeur aînée. Elle y travaille 6 heures par jour jusqu’à ses 13 ans, puis 10 heures par jour jusqu’à ses 18 ans. A partir de 18 ans, c’est 14 heures de travail par jour.
Cette usine, c’est la plus importante manufacture d’allumettes de Londres, la manufacture Bryant & May.
Alertée par la syndicaliste féministe Clementina Black, la journaliste et militante socialiste Annie Besant mène l’enquête sur les conditions de travail dans cette manufacture. Le 23 juin 1888, elle publie dans le journale The Link un article retentissant : « White slavery in London » (“la traite des Blanches à Londres”).
Elle y dénonce les journées de travail de 14 heures, les salaires trop bas pour payer le loyer d’une seule pièce, les retenues sur salaires arbitraires et les maladies graves provoquées par la manipulation du phosphore (notamment l’ostéonécrose du maxillaire qui déforme la mâchoire des ouvrières).
Alors qu’un boycott des allumettes fabriquées dans cette usine s’organise en ville, Annie Besant réussit à convaincre les ouvrières des mérites de la lutte pour leurs droits. Le 5 juillet 1888, malgré les menaces des dirigeants de la manufacture, 1400 enfants et ouvrières se mettent en grève. C’est la première fois de l’histoire britannique que des ouvrières sans qualification se mettent en grève.
Le lendemain, 200 femmes manifestent dans la Cité de Londres pour protester contre leurs conditions de travail déplorables et les mauvais traitements. Sarah Chapman est à la tête du mouvement. Avec ses camarades, elles créent un comité de grève, organisent des réunions publiques et obtiennent une couverture médiatique favorable ainsi que le soutien de plusieurs députés.
Après 12 jours de lutte, les dirigeants acceptent de rencontrer le Comité de grève et leurs revendications : les amendes et retenues sur salaires sont abolies, les ouvrières pourront manger dans une salle à part, des chariots seront mis à disposition pour transporter les boîtes autrement que sur la tête…
Aucune gréviste ne perdra son emploi.
Mais la lutte pour les droits des ouvriers et des ouvrières continue.
Les ouvrières créent un syndicat, l'Union of Women Match Makers (le syndicat des allumettières). C’est le plus grand syndicat féminin d’Angleterre.
L’assemblée générale inaugurale a lieu le 27 juillet 1888. Sarah Chapman est élue représentante avec 11 autres femmes. Ses camarades la choisissent pour les représenter au congrès international des syndicats à Londres la même année.
Une plaque sur le site de l’ancienne usine commémore la lutte menée par Sarah Chapman et ses camarades… depuis le 5 juillet 2022.
On parle d’elle dans le super film “Enola Holmes” (la soeur géniale du célèbre détective), à voir absolument !