Il était une fois l'Europe

Le 18 avril 1951

© Parlement européen Le 18 avril 1951
© Parlement européen

Dans Il était une fois l'Europe, l'historien Sylvain Schirmann revient sur des dates emblématiques de l'Histoire de l'Europe toutes les deux semaines sur Euradio

Aujourd’hui, retour sur un moment clé : le 18 avril 1951, les six pays fondateurs signent à Paris le Traité instituant la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier.

Sylvain Schirmann, on est moins d’un an après la Déclaration Schuman… Comment passe-t-on de cette idée audacieuse à un traité international en bonne et due forme ?

Après avoir essuyé un refus britannique le 2 juin 1950, Schuman réunit à Paris le 20 juin 1950 la conférence destinée à élaborer le projet de communauté du charbon et de l’acier. Seule condition posée aux Six Etats qui y participent : accepter par avance le principe d’une autorité supranationale. Placée concrètement sous l’autorité de Jean Monnet à qui Schuman laisse beaucoup de latitude, les discussions ont parfois été difficiles. D’abord sur la méthode : la France voulait d’abord conclure un traité installant la Haute Autorité puis laisser les applications techniques à une négociation ultérieure. Si l’Allemagne était d’accord avec cela, les autres pays marquèrent leur opposition et il fallait donc élaborer un traité prévoyant avec précision le fonctionnement d’un marché commun du charbon et de l’acier. Il y a ensuite des oppositions d’intérêts, entre ceux qui souhaitaient un marché plus ouvert et d’autres plus protégés ; entre ceux qui étaient pour des quotas et ceux contre ; entre ceux qui exigeaient une liberté de circulation des travailleurs dans les branches concernées et ceux qui étaient contre ; entre ceux qui voulaient des harmonisations sociales et ceux qui les redoutaient.

Le contexte modifia également les intérêts uns et des autres. L’éclatement de la guerre de Corée le 25 juin 1950 renforça le poids stratégique de l’Allemagne qui représente un atout considérable pour l’Europe par son potentiel sidérurgique et humain. Le plan Schuman était dès lors moins nécessaire à l’Allemagne, d’autant plus qu’elle bénéficiait d’un soutien américain accrue. Washington souhaitait en effet qu’on la renforce et lui accorde un soutien accru. Dès lors Paris souhaitait ardemment la décartellisation des industries sidérurgiques et houillères de la Ruhr. Cette opposition empoisonna une partie de la négociation. La bonne relation entre Monnet et les Américains eut raison des Allemands : ceux-ci durent concéder une relative décartellisation après l’intervention de John MacCloy, haut-commissaire américain en Allemagne.

Le règlement de ces problèmes permit à la négociation d’aboutir par la signature du traité de Paris instituant la CECA, le 18 avrils 1951. 


Mais ce traité, ce n’est pas seulement un accord économique. Ce qui frappe, c’est l’originalité de ses institutions : c’est là que se dessine la future méthode communautaire.


La déclaration française ne mentionnait qu’une institution : la Haute Autorité. Le traité en fixe sa composition et sa désignation. 9 membres (2 pour les grands états, 1 pour les petits) nommés par les gouvernements qui se mettent d’accord sur leur président. Mais pour éviter que cette instance ait un caractère trop technocratique et concentre trop de pouvoirs, on l’entoure d’autres organes :

  • Un conseil des ministres à la demande du Benelux
  • Une Assemblée commune, forte de 78 membres, issue des Parlements nationaux 
  • Une Cour de justice, chargée de traiter les différends entre les pays membres ou les particuliers et la Haute Autorité quant au respect du traité 
  • Un comité consultatif, sorte de Conseil économique et social de la CECA

C’est sur cette architecture que se développera l’Europe communautaire, étapes après étapes.

Mais on n’était pas au bout des difficultés. Deux questions viennent encore peser sur l’entrée en vigueur du traité :

  • La ratification du traité : la progression des communistes et des gaullistes aux élections législatives de juin 1951 en France y rendit la ratification difficile et la campagne fut pénible (377 voix pour ; 233 contre)
  • La question du siège : chaque pays avait sa ville candidate (Strasbourg, Liège, La Haye, Turin). Schuman proposa alors Sarrebruck avec l’idée d’un district européen. Mais refus d’Adenauer. On opta alors de façon provisoire de fixer le siège de la Haute Autorité, de la Cour de Justice, et le secrétariat de l’Assemblée commune ; l’Assemblée siègerait de façon provisoire à Strasbourg afin d’établir un lien avec celle du Conseil de l’Europe.


La création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier marquait déjà un tournant historique. Pourtant, les tensions en Corée et la menace d’un affrontement entre l’Ouest et le bloc communiste ont précipité les six pays fondateurs vers une question cruciale : celle de leur défense commune. Un sujet que nous explorerons dans notre prochaine chronique
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Un entretien réalisé par Olivier Singer. 

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