Julie Le Gallais vous propose de fermer les yeux pour visualiser l’oeuvre : Nous sommes dans le noir, et faisons face à deux écrans qui s'opposent, la dualité des genres est centrale dans cette installation. Le silence s'installe puis tire sa révérence pour laisser place au chant bas et vibrant d'un homme au pantalon noir et à la chemise blanche. Il s'approche d'un micro et tourne le dos à un auditoire exclusivement masculin pour faire face à la caméra. Le chant d'amour perse nous transporte. Ce chanteur à la voix puissante fixe l'écran d'en face, et ainsi nous amène à tourner les yeux vers ce dernier. Il y apparaît une femme voilée, toute de noir vêtue, tournant le dos à l'écran du chanteur et faisant face à une salle de théâtre vide. Ainsi, dès le début du film, l'opposition est conceptualisée dans les couleurs (le noir et le blanc), le plein face au vide (applaudissement et chaises vides), et le bruit face au silence.
À la fin de son chant mélodieux, l'homme se fait acclamer par son auditoire. Soudain, un son brutal sort du corps de la femme, l'homme se fige, son regard joyeux laisse place à l'inquiétude. La caméra tourne autour de la femme qui émet un son grave puis une série de halètements de plus en plus rapides. La caméra suit alors cette cadence, elle met en lumière de manière sensuelle cette explosion corporelle et vocale. La chanteuse est transportée par son chant. Sa voix résonne, elle semble retentir vers cet homme en face d'elle qui ne la quitte pas des yeux. Ces deux tableaux se confrontent avec une telle intensité que la métaphore sur les complexes rôles de l'homme et de la femme fait écho en 1998, mais aussi vingt ans après. Elle souligne ce qui se produit dans la société iranienne d'après-révolution, société binaire, où seuls les hommes ne pouvaient chanter, s'exprimer en public, les femmes ne pouvaient donc vivre cette expérience mystique du chant puissant perse.
Cette installation audiovisuelle, qui sera la première d'une longue série pour Shirin NESHAT, retranscrit trouble, transport et émotion. Ils sont abordés sous une dimension politique et sociale qui met en scène les hommes et les femmes. Néanmoins, le travail de cette artiste est plus complexe puisque la perspective sociale et politique est relayée par une expérience de plaisir esthétique et spirituel. Shirin Neshat dépeint avec brio une atmosphère sensorielle complexe qui s'explique sans nul doute par sa double culture.
Elle est née en Iran, un pays qu'elle quitte pour étudier l'art contemporain aux Etats-Unis. C'est son retour en Iran une dizaine d'années plus tard qui déclenchera sa source d'inspiration majeure : l'Orient. Son pays et les conditions sociales et politiques ont changé. Marquée par les bouleversements de la révolution iranienne de 1979, l'artiste contemporaine traite l'Orient sous des éléments symboliques que l'on retrouve dans son installation comme le voile ou la poésie. Mais il faut souligner la capacité de l'artiste à évoquer l'interdit sans jamais entrer en rupture avec les codes conventionnels de l'Islam. Dans Turbulent, Shirin Neshat retranscrit l'interdit, mais préserve les éléments culturels cultes…