La jungle des miroirs

Les algorithmes - La jungle des miroirs #5

Photo de Tracy Le Blanc - Pexels Les algorithmes - La jungle des miroirs #5
Photo de Tracy Le Blanc - Pexels

Astroturfing, bulles de filtre, biais cognitifs, fake news, drumbeat, manipulation des images, propagande… Tous ces termes relatifs à la guerre de l'information seront chaque semaine décryptés, mis en relief, sur euradio, pendant cinq minutes, pour donner des clefs de compréhension à tous ceux qui sont perdus dans la jungle de la désinformation.

Bonjour Louise ! Je comprends qu’aujourd’hui, vous souhaitez que l’on continue sur notre lancée des deux dernières semaines, alors que vous nous parliez d’intelligence artificielle générative, de chatbots, de fermes à troll. Avec quelle notion aujourd’hui souhaitez-vous compléter ce sujet ?

Oui Laurence, dans notre continuité sur les nouvelles technologies, les réseaux sociaux et l’IA, aujourd’hui, il me faut développer le concept de l’algorithme. Un concept clé puisque que nous utilisons tous ou presque les réseaux sociaux dans notre quotidien et notre vie professionnelle ! Nous avons dédié un épisode dessus dans notre podcast de la Jungle des Miroirs que je vous invite à découvrir, un épisode qui se nourrit de deux livres clés, Toxic Data de David Chavalarias et Les Ingénieurs du Chaos de Giuliano da Empoli. Aujourd’hui, j’aimerais vous en donner l’essence car c’est pour moi un sujet capital : les algorithmes sont devenus des instruments puissants pour capter et manipuler l'attention du public, et ainsi, pouvoir faire de la communication – et par extension – de la désinformation de manière beaucoup plus ciblée.

Comment est-ce que ces algorithmes fonctionnent ? A quoi sont-ils liés ?

Les algorithmes sont à la base de la construction de tous les réseaux sociaux,. Ils sont faits pour tracer et catégoriser les comportements des utilisateurs en temps réel, en s’appuyant sur leurs contacts , leurs likes, commentaires, partages d’articles, et photos. Les algorithmes sont faits pour recueillir ces informations, les analyser et ainsi pouvoir synthétiser nos préférences, nos habitudes, et nos émotions. Le but premier des algorithmes est de pouvoir proposer aux utilisateurs une expérience proche de ce qu’ils aiment et ont envie de voir. Pour les faire rester sur le réseau, parfois même pour les rendre accroc. Mais ce qui est intéressant c’est de constater que toute cette connaissance peut aussi être utilisée contre nous, pour nous manipuler.

Comment est ce que cela peut-être utiliser contre nous concrètement ? Quel impact si je like une photo ou un article ?

Au moment des élections américaines de 20216 et du scandale de Cambridge Analytica qui s’en suivi, on s’est aperçu que les données récoltées sur les réseaux sociaux via les algorithmes permettaient d’identifier des "points faibles" émotionnels ou psychologiques d’électeurs, qui étaient ensuite exploités par des messages ciblés. Ils permettaient aux campagnes d'adapter leurs messages en fonction des individus ou des groupes spécifiques, en jouant sur leurs craintes, leurs préjugés ou leurs espoirs. Les données personnelles étaient donc utilisées pour créer des profils psychologiques et envoyer des messages ciblés susceptibles d'influencer les opinions et les comportements.

Ça se rapproche donc de la manipulation émotionnelle n’est-ce pas ?

Absolument ! C’est du microciblage et de la manipulation émotionnelle. Ils ont donc à ce titre une place centrale dans la manipulation de l’information. Je vous ai dit aussi que les algorithmes avaient pour but de nous faire rester sur les applications, de nous rendre accroc aux réseaux sociaux. Or, dans cette quête ils vont donc favoriser les contenus qui génèrent de l’engagement, du trafic. C’est-à-dire qui sont beaucoup vus et font réagir. Ils vont donc favoriser les contenus polarisants et donc générer ce qu’on appelle des biais de négativité. Les algorithmes de recommandation – entendez ici les vidéos et articles que vous voyez dans le fil « pour vous » privilégient en effet des contenus qui suscitent des réactions fortes, souvent liées à des thèmes controversés, polémiques ou à des émotions négatives comme la colère ou la peur. L’effet pervers c’est que cela favorise l'exposition répétée des utilisateurs à des messages polarisants, et cela amplifie les divisions sociales, renforce les clivages idéologiques. Je vous laisse imaginer l’impact sur nous au quotidien…

Donc, si je comprends bien, plutôt que de chercher à convaincre rationnellement, les campagnes politiques exploitent à la fois nos biais cognitifs et nos pulsions émotionnelles.

Exactement. Et, ce faisant les algorithmes nous enferment également dans ce qu’on appelle des bulles de filtres, qui sont des outils très puissants de manipulation de l’information.

Qu’entendez-vous par bulle de filtres ?

Et bien comme les algorithmes peuvent identifier nos préférences, nos goûts et nos choix politiques, et, on vient d’en discuter, ils peuvent nous transmettre des informations ciblées, ils font aussi le choix de nous enfermer dans nos propres croyances. Si vous likez des articles sur un certain sujet politique, vous pouvez être assurée ensuite Laurence d’être bombardée d’informations qui iront dans ce sens-là, et vous ne verrez plus d’informations contradictoires. Imaginez dans le cadre des conflits physiques d’aujourd’hui, si vous êtes pro palestinien, pro israélien, pro russe ou pro ukrainien par exemple, vous ne verrez plus que des informations qui abonderont dans le sens de vos croyances. Difficile alors de réfléchir vraiment, de développer son esprit critique, de comprendre qu’il y a plusieurs versions, plusieurs positions. C’est pour cela que Yuval Noah Harari parle des algorithmes comme d’un « hacking des êtres humains » qui risque de nous faire perdre notre capacité à faire des choix éclairés, donc notre vraie capacité à être libres.

Et c’est là, si je comprends bien, qu’il est important d’avoir plusieurs sources d’informations, d’être pro-actif alors qu’on se documente, aller voir plusieurs articles, remettre en question, et d’une certaine manière sortir des réseaux sociaux.

Exactement ! Et si vous voulez bien, je vous parlerai la semaine prochaine de TikTok, un réseau social qui fait actuellement la une des journaux justement à cause de ses algorithmes !