Astroturfing, bulles de filtre, biais cognitifs, fake news, drumbeat, manipulation des images, propagande… Tous ces termes relatifs à la guerre de l'information seront chaque semaine décryptés, mis en relief, sur euradio, pendant cinq minutes, pour donner des clefs de compréhension à tous ceux qui sont perdus dans la jungle de la désinformation.
Bonjour Louise, merci d’être de retour parmi nous. Le concept de désinformation, qui est, je le rappelle la diffusion intentionnelle de fausses informations dans le but de tromper ou manipuler l’opinion publique, est ancien. Je pense notamment aux opérations Mincemeat ou Radio noire pendant la Seconde Guerre Mondiale, dont vous avez fait un épisode dédié sur votre podcast par exemple. Ou encore les pratiques du KGB pendant la guerre froide. Est-ce que vous pourriez nous expliquer aujourd’hui en quoi l’intelligence artificielle a modifié les pratiques de désinformation ?
Ah oui, sujet passionnant et au cœur de l’actualité ! Vous avez raison, même Sun Tzu parlait de l'importance de tromper l’ennemi, de manipuler la perception de la réalité à l’époque. Les nouvelles technologies ont permis d’amplifier et de faciliter la désinformation, notamment grâce à l’apparition des réseaux sociaux et ça a été décuplé avec l’avènement de l’IA.
De trois manières :
- Les réseaux sociaux qui sont devenus un véritable vecteur de la désinformation (multiplication des comptes et automatisation des réponses). Je pense au réseau social X bien sûr, mais même Facebook, TikTok, Instagram sont utilisés aujourd’hui pour transmettre les fake news.
- Les réseaux sociaux permettent la manipulation des perceptions de manière beaucoup plus subtile, sans que l’on s’en rende compte (algorithmes).
- L’IA et les deepfakes
Ces trois sujets sont bien complexes, on peut donc peut-être développer seulement aujourd’hui la première cause : en quoi est ce que les réseaux sociaux sont devenus des amplificateurs de la désinformation ?
Oui, c’est la tout première conséquence si on regarde les évènements chronologiquement. Ils permettent de transmettre les informations de manière beaucoup plus rapides, avec une portée mondiale beaucoup plus importante. Comparé aux médias traditionnels, les réseaux sociaux permettent à n’importe qui de publier du contenu sans passer par un processus de vérification, les fausses informations peuvent donc circuler sans contrôle éditorial préalable. Comme cela va plus vite, il est encore plus difficile de tout débunker – c’est à dire contredire, rétablir la vérité. Et donc, aujourd’hui, des acteurs étatiques et économiques, pour transmettre leurs faux narratifs, mettent en place de véritables manœuvres informationnelles sur les réseaux sociaux grâce à cette liberté et cet anonymat.
Quels genres de manœuvres informationnelles ?
On peut parler du phénomène des fermes à troll. Ce sont des organisations ou entreprises, qui emploient des individus pour publier massivement des messages, des commentaires sur les réseaux sociaux, généralement de manière coordonnée et sur des sujets spécifiques.
Et ces messages sont destinés à influencer l’opinion publique ?
Oui mais pas seulement. Manipuler les perceptions autour de sujets politiques, économiques, ou sociaux, partout dans le monde, de deux manières : en employant de nombreuses personnes pour poster sous de faux profils, ces fermes à troll peuvent simuler un large soutien ou opposition envers un sujet donné, créant ainsi une illusion. Ça génère l’astroturfing, on a l’impression que ça fait un effet de masse puisque beaucoup de monde commente.
Les fermes à troll génèrent du trafic, ça permet au sujet de monter, d’apparaître grâce aux algorithme, mais aussi à créer des tensions, entrainer la polémique, avec des équipes pour chaque opinion.
Les fermes à troll russes sont les plus connues, elles font la promotion du Kremlin dans les réseaux du monde entier, et décrédibilisent les adversaires – notamment dans le cadre du conflit en Ukraine.
J’imagine qu’il est donc difficile aujourd’hui de faire le tri et de distinguer le vrai du faux !
Exactement. Et ça impacte tous les sujets clivants d’aujourd’hui : le climat, les élections présidentielles, les conflits physiques autant que les affrontements économiques et sociaux. Tous ces sujets sont envenimés par la diffusion de fake news, amplifiés par ces faux profils, qui sont soutenus par des acteurs qui portent leurs propres intérêts.
Une interview réalisée par Laurence Aubron.