L'éco de Marc Tempelman

La Tokénisation

Photo de Shubham Dhage sur Unsplash La Tokénisation
Photo de Shubham Dhage sur Unsplash

Chaque semaine sur euradio, retrouvez Marc Tempelman, le cofondateur de l’application d’épargne gratuite Cashbee, qui traite les sujets et les actualités de la finance.

Nous accueillons Marc Tempelman, le cofondateur de l’application d’investissement gratuite Cashbee. Nous discutons toutes les semaines de finance. Bonjour Marc.

On parle beaucoup de « tokénisation » en finance. Pour commencer simplement : c’est quoi, la tokénisation ?

La tokénisation, c’est l’idée de prendre un actif financier traditionnel – un fonds monétaire, obligataire, immobilier ou actions – et d’en émettre les parts directement sur une blockchain. La part ne vit plus dans un registre administratif classique, mais sous forme de jeton numérique, un « token », qui devient la preuve de propriété.

Concrètement, en quoi un fonds tokénisé diffère-t-il d’un fonds traditionnel que l’on achète via sa banque ou son assurance-vie ?

Sur le fond, rien ne change : il y a toujours une société de gestion régulée, des actifs sous-jacents bien réels, une comptabilité contrôlée par les régulateurs. La différence, c’est l’infrastructure. Au lieu de faire transiter les ordres et les registres par toute une chaîne d’intermédiaires – banques dépositaires, teneurs de registre, chambres de compensation – la propriété des parts est inscrite directement sur une blockchain. Le token n’est pas une copie, c’est la part elle-même : unique, traçable, transférable quasi instantanément.

Donc la blockchain remplace en quelque sorte le « back-office » traditionnel ?

Exactement. Elle devient le registre de propriété partagé, sécurisé et programmable. Cela réduit les doublons, les rapprochements de données, et potentiellement les coûts d’infrastructure. Là où il fallait parfois plusieurs jours pour que la chaîne administrative se mette à jour, on se retrouve avec une exécution quasi en temps réel.

Ça fait longtemps qu’on parle de tokénisation, mais est-ce que cette technologie est adoptée dans la pratique ?

La réponse courte est : de plus en plus. Entre 2023 et 2025, l’encours des fonds tokénisés est passé d’environ 2 à 18 milliards de dollars. Ce qui ne représente pas grand chose à l’échelle mondiale, mais la multiplication par neuf en deux ans montre que l’on est sorti du stade expérimental. La moitié de ces encours, hors stablecoins, correspond aujourd’hui à des fonds monétaires tokénisés.

Un des termes qui revient souvent quand on parle de tokénisation, c’est « démocratisation ». Concrètement, qu’est-ce que ça change pour un épargnant ?

L’un des superpouvoirs de la tokénisation, c’est le fractionnement. Une part de fonds, qui coûte parfois plusieurs centaines ou milliers d’euros, peut être découpée en une myriade de fractions. Acheter un millième d’un fonds immobilier ou un fragment d’un fonds obligataire devient techniquement possible.

Cela ouvre la porte à l’investissement dans des classes d’actifs jusque-là réservées aux investisseurs fortunés : infrastructures, dette privée, private equity, immobilier institutionnel. Ce sont justement ces actifs non cotés qui génèrent, pour les sociétés de gestion, des profits quatre fois plus élevés que les actifs cotés traditionnels. La tokénisation est une manière d’en partager, au moins en partie, l’accès avec un public plus large.

Quels sont les principaux avantages de la tokénisation ?

Il y en a plusieurs. L’exécution des ordres est quasi instantanée, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Chaque transaction est inscrite de manière immuable, ce qui réduit les risques d’erreurs administratives ou de double comptabilisation. Enfin, les smart contracts – ces programmes qui exécutent automatiquement des règles – permettent d’automatiser la distribution de dividendes, le respect des limites d’investissement, la gestion de certains droits des investisseurs.

Et côté coûts ?

Moins d’intermédiaires, moins de registres à synchroniser, c’est potentiellement moins de frictions et moins de coûts. Attention, ce n’est pas magique : il faut aussi financer l’infrastructure blockchain, la cybersécurité, la conformité. Mais globalement, le modèle promet une chaîne de valeur plus fluide, avec moins de paperasse, moins d’allers-retours manuels, plus de transparence.

Jusqu’ici, on a surtout parlé des avantages. Mais quels sont les inconvénients ou au moins les points de vigilance ?

Le premier, c’est le cadre réglementaire. En Europe notamment, des questions clés restent ouvertes : qui est responsable de la conservation des jetons ? Quel est exactement le rôle du dépositaire traditionnel ? Que se passe-t-il en cas de bug de smart contract, de perte de clé, de failles dans l’infrastructure ? Tant que ces zones d’ombre ne sont pas clarifiées, beaucoup d’acteurs institutionnels resteront prudents.

Quand on entend tout ça, on se dit que la tokénisation pourrait être un formidable outil de démocratisation… mais aussi un nouveau terrain de jeu complexe pour les particuliers. Quel lien faîtes-vous avec l’éducation financière ?

Il est direct. La tokénisation rend techniquement possible ce qui, hier, était administrativement trop lourd : investir 50 euros dans un fonds de dette privée, détenir un minuscule fragment d’un immeuble, utiliser un fonds monétaire tokénisé comme « cash rémunéré ». Mais si l’épargnant ne comprend ni le risque des actifs sous-jacents, ni le fonctionnement d’un smart contract, ni les implications de perdre ses accès, on crée de nouvelles fragilités.

Donc ce n’est pas parce que l’enveloppe est moderne que le besoin de pédagogie disparaît.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.