Chaque semaine sur euradio, retrouvez Marc Tempelman, le cofondateur de l’application d’épargne gratuite Cashbee, qui traite les sujets et les actualités de la finance.
Bonjour Marc, nous allons discuter aujourd’hui d'un phénomène économique qui prend de l'ampleur : le retour en force de l'héritage.
En effet, la France, comme beaucoup de pays développés, est en train de devenir une héritageocratie. Ce terme désigne une société où la transmission du patrimoine par héritage joue un rôle prépondérant dans la répartition des richesses et des opportunités. Concrètement, cela signifie que dans une telle société, les personnes les plus fortunées le sont principalement grâce à l'héritage qu'elles ont reçu, plutôt que par leurs propres efforts, talents ou mérites individuels.
Historiquement, comment a évolué la perception de l'héritage comme moyen de s'enrichir ?
En simplifiant, il y a deux façons de devenir riche, par le travail ou par l’héritage. Au 19e siècle, l'héritage était considéré comme une voie légitime vers la richesse. Cette thématique était d'ailleurs centrale dans les œuvres de Balzac ou de Stendhal. Mais au début du 20e siècle, la perception a changé en faveur de la richesse créée par le travail. On a commencé à valoriser davantage le capital humain et l'effort personnel comme moyens d'atteindre le bien-être matériel. La croissance économique semblait avoir fait triompher la méritocratie sur l'héritage. Cependant, depuis quelques années, nous observons un retour en force de l'héritage.
Pouvez-vous nous donner quelques chiffres pour illustrer cette tendance ?
Bien sûr. Selon The Economist, cette année, les personnes du monde développé vont hériter d'environ six mille milliards de dollars. C'est un chiffre colossal. En Allemagne, la part des héritages dans la production nationale a triplé depuis 1970. En Italie, les héritages représentent maintenant plus de 15% du PNB. En France, les projections de l'économiste Thomas Piketty indiquent que les héritages pourraient représenter 20-25% du revenu national d'ici 2050, un niveau comparable à celui observé entre 1820 et 1910.
Quelles sont les principales raisons de cette augmentation significative des héritages ?
Il y a plusieurs facteurs qui expliquent cette tendance. Premièrement, nous avons assisté à un accroissement général de la richesse, notamment grâce à la hausse des valeurs immobilières et boursières, après la Seconde Guerre mondiale.
Deuxièmement, les changements démographiques jouent un rôle crucial. Les baby-boomers, nés entre 1946 et 1964, qui possèdent une grande partie de la richesse, commencent à transmettre leur patrimoine. Par exemple, aux États-Unis, les baby-boomers représentent 20% de la population mais possèdent la moitié de la richesse du pays, soit environ 82 trillions de dollars. Or, les gens ont moins d’enfants, donc cette richesse est transmise de façon concentrée.
Quelles sont les conséquences de ce phénomène sur la société ?
Tout d'abord, cela renforce les inégalités sociales. Les grandes fortunes se transmettent presque intactes au fil des générations, creusant davantage le fossé entre riches et pauvres. On le voit sur le marché immobilier. L'héritage ou un prêt de la part de parents riches augmente considérablement les chances d'accéder à la propriété pour les jeunes générations.
De plus, on observe des changements dans les comportements sociaux. Des études menées dans plusieurs pays montrent que le désir de trouver un conjoint fortuné augmente, et l'héritage joue un rôle croissant dans la recherche de partenaire. Cela favorise le mariage des riches entre eux, renforçant encore les inégalités sociales.
Enfin, avec le transfert massif de richesse en cours et à venir dans les prochaines décennies, il est crucial que les héritiers soient formés à la gestion de patrimoine. Se retrouver du jour au lendemain avec un patrimoine immobilier et financier conséquent peut être source de stress pour quelqu'un peu ou pas habitué à gérer des actifs financiers ou des investissements immobiliers.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.