La chronique philo d'Alain Anquetil

L’importance de la « justification » dans la future directive européenne sur les allégations environnementales des entreprises

L’importance de la « justification » dans la future directive européenne sur les allégations environnementales des entreprises

Nous accueillons chaque semaine Alain Anquetil, professeur émérite de philosophie morale à l’ESSCA Ecole de Management, pour une chronique de philosophie pratique.

Aujourd’hui, vous allez nous parler de la proposition de directive européenne du 22 mars dernier relative aux fausses allégations environnementales des entreprises.

Elle part du constat que « les entreprises opérant dans l’Union européenne formulent souvent desallégations environnementales volontairessans justification ni preuves suffisantes pour les étayer », ce qui « peut se traduire par de l’écoblanchiment » – l’écoblanchiment (ou greenwashing) recouvre le fait de tenter « de faire croire que des produits ou des processus sont plus respectueux de l’environnement qu’ils ne le sont en réalité » (1).

Par conséquent, « la proposition de directive exige que ces allégations écologiques[…] soient justifiées, et que ces justifications soient vérifiées préalablement ».

Ces allégations sont-elles équivalentes à des mensonges ?

La proposition de directive « s’attaqu[e] aux fausses allégations environnementales faites aux consommateurs », mais elle n’emploie pas explicitement le mot « mensonge ».

Pourtant la définition de l’écoblanchiment inclut l’intention de tromper…

Toutes les allégations environnementales non justifiées ne correspondent pas à de l’écoblanchiment : elles peuvent être dues à l’ignorance de leurs auteurs, voire à leurs bonnes intentions.

Mais s’agissant spécifiquement de l’écoblanchiment, qui comporte une intention de tromper, la linguiste Elodie Vargas affirme qu’il « ne relève pas du mensonge », que « rares sont [les entreprises] qui mentent à 100 % » et que « le greenwashing se situe plutôt dans le non-dit, […] c’est-à-dire que l’entreprise survalorise certains aspects et cache ceux qui font problème » (2).

On peut toutefois défendre l’hypothèse que les allégations environnementales non justifiées appartiennent au domaine du mensonge parce que les entreprises qui en sont à l’origine les répètent. Vladimir Jankélévitch affirmait qu’« un mensonge ne fait pas un menteur : loin de là ! Pour faire un menteur, il faut tant et tant de mensonges que personne ne peut dire combien… » (3). Peut-être des entreprises tombent-elles sous ce cas…

Comment expliquer ces fausses allégations environnementales et l’écoblanchiment ?

On sait que l’impératif de maximisation du profit et le contexte concurrentiel de la vie économique marchande façonnent les modes de pensée des entreprises commerciales (4).

Ainsi la morale des affaires serait-elle moins exigeante que la morale générale : elle permettrait l’existence d’une « zone grise » où des règles douteuses telles que « C’est le système qui veut ça », « On a toujours fait comme ça » ou « Tout le monde le fait » serviraient à justifier (parfois publiquement) des actions immorales, dont les fausses allégations environnementales pourraient faire partie (5).

Ce sont de mauvaises justifications…

Oui, et on peut justement établir un lien avec l’idée de justification qui est au cœur de la proposition de directive européenne.

Elle vise en effet à remplacer de fausses allégations environnementales, que l’on peut justifier par des pseudo-règles (« C’est le système qui veut ça », etc.), par des communications commerciales justifiées par des éléments probants.

Une des causes possibles des fausses allégations environnementales est aussi le manque de proximité des entreprises avec les consommateurs qui, dans le cadre de leur communication commerciale, demeurent des cibles impersonnelles.

Or, quand, en plus des « allégations », on apporte des justifications aux consommateurs, on met en jeu sa bonne foi et, de ce fait, on tend à se rapprocher d’eux.

Il est possible de donner des justifications mensongères…

Cela impliquerait encore plus de dissimulation et de ruse, et les auteurs de ces justifications risqueraient fort de se voir eux-mêmes comme des menteurs, ce qui ne serait pas très flatteur !

Quoi qu’il en soit, la proposition de directive a prévu le cas : elle demande à ce que les justifications des entreprises soient « vérifiées préalablement »…

Entretien réalisé par Laurence Aubron.


(1) Voir Proposal for a directive of the European parliament and of the Council on substantiation and communication of explicit environmental claims (Green Claims Directive), 22 mars 2023, et le communiqué de presse en français.  Toutes les citations de la chronique sont issues des Questions et réponses sur les allégations écologiques européennes, 22 mars 2023.

(2) E. Vargas, « Greenwashing et publicité : peut-on faire confiance aux entreprises ? », Après-demain, 53(1), 2020, p. 21-23. Voir également F. Benoit-Moreau et B. Parguel, « De la publicité verte au greenwashing : cinquante nuances de vert entre vice et vertu », dans L’état des entreprises 2016, Dauphine Recherches en Management, La Découverte, 2016.

(3) V. Jankélévitch, Traité des vertus, tome II, Les vertus et l’amour, Paris, Flammarion, 1986.

(4) A moins que ces sociétés commerciales aient adopté le statut de « société à mission » avec une raison d’être environnementale. Sur ce sujet, voir par exemple « Peut-on philosopher sur la raison d’être et la société à mission ? », Blog de Philosophie et d’Ethique des Affaires, 13 juillet 2020.

(5) Voir « Si ce n’est pas moi, ce sera quelqu’un d’autre », 16 mars 2021.