Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.
Aujourd’hui, vous nous présenter le livre blanc que vous publiez avec Synopia en amont des élections européennes. Pourquoi ce livre ?
Effectivement, avec Synopia nous publions un livre blanc qu’on a choisi d’intituler « comment faire mieux avec l’Europe ? ». Cette question, ce n’est pas seulement nous qui nous la posons, mais c’est aussi une grande partie des citoyens européens qui ont bien conscience que, si l’Union européenne n’est pas parfaite, elle est aujourd’hui indispensable si on recherche la protection de nos intérêts et une certaine forme de puissance et de souveraineté. Donc avec les 32 contributeurs de ce livre blanc, on s’interroge sur les différents moyens pour que l’UE réponde encore mieux aux attentes de ses citoyens et à la nouvelle réalité géopolitique. Et ce dans le contexte des élections européennes qui approchent à grands pas.
Justement, quel regard portez-vous sur ces élections ?
D’abord un regard inquiet, pour deux raisons. La première parce qu’on voit que des partis politiques traditionnellement eurosceptiques sont en tête de peloton. Et la seconde parce que ces élections sont plus que jamais la cible de tentatives d’ingérence et de manipulations de la part de puissances étrangères, notamment la Russie. Mais on pourrait aussi citer la Chine. Concernant l’ingérence russe, les services de renseignement européen n’ont pas chômé ces dernières semaines. Début janvier c’est la Suède qui est prise pour cible par des hackers russe et dont de nombreux services administratifs se retrouvent paralysés pendant plusieurs jours. En février, VIGINUM, l’organisation française de lutte contre les ingérences numériques étrangères, révèlent l’existence d’un vaste réseau de propagande russe, dans toute l’Europe, et aux États-Unis. Et puis la semaine dernière, c’est Varsovie et Prague qui allient leurs efforts pour démanteler un site de propagande pro-russe particulièrement actif et un réseau accusé de corrompre des politiques européens.
Dans le livre blanc que vous publiez, vous mettez néanmoins en avant de nombreuses raisons d’être optimiste quant à l’avenir de l’Europe. Quelles sont-elles ?
Pour identifier les forces il faut d’abord identifier les faiblesses. Les 10 dernières années sont dix années de crises en continue qui ont soit fragilisé, soit renforcé l’UE. D’abord les fragilités : un déficit de vision stratégique commune au long terme ; des divergences sur des sujets pourtant essentiels (défense, énergie, migrations, état de droit, etc.) ; des États aux prises avec des courants politiques qui prônent un repli sur soi ; une perméabilité des États et des institutions européennes aux ingérences étrangères ; une conception de la libre concurrence qui a trop souvent profité aux autres continents, sans véritable réciprocité ; ou encore une approche normative souvent vécue de façon abusive ou absurde. Dans les articles du livre blanc, les auteurs reviennent sur toutes ces faiblesses structurelles mais montrent que l’Europe est néanmoins pleine de ressources.
Lesquelles ?
Et bien les crises qu’elle traverse montrent que l’Union européenne, lorsqu’elle s’en donne les moyens, est bel et bien capable de délivrer, d’agir et de réussir. Elle en a fait la démonstration en 2012 en sauvant la Grèce de la faillite ; en 2020 avec le plan de relance et l’achat groupé de vaccins ; en 2022 avec la stratégie énergétique permettant de couper les ponts avec la Russie ; et aujourd’hui on voit bien que les États se démènent pour trouver des points d’entente sur un programme industriel ambitieux, notamment en matière de défense. L’Europe pourrait même devenir un modèle pour le reste du monde, que ce soit à travers le développement d’une économie responsable, le respect des droits humains, la dignité des personnes et la lutte contre les inégalités.
Quels sont les thèmes que vous traitez dans le livre blanc ?
La gouvernance, la défense, l’économie, le numérique, l’énergie, ou encore la norme. Les articles abordent aussi la place de l’Europe dans un monde de plus en plus fracturé, imprévisible et conflictuel, et ses relations avec d’autres régions du monde : les États-Unis, la Méditerranée, l’Afrique et l’Asie. Avec la guerre en Ukraine, l’UE a pris conscience de l’intérêt que représente la défense européenne. Elle doit à présent encourager les coopérations internes existantes et les étendre aux autres États membres en accentuant la convergence des politiques industrielles nationales. Il s’agit aussi de renforcer la souveraineté numérique de l’UE face aux intrusions et aux attaques hybrides (cyber, sphère informationnelle, etc.) d’acteurs internationaux, en tant qu’enjeu de défense, mais aussi en tant qu’enjeu économique. En parallèle, les entreprises européennes doivent répondre à des enjeux de responsabilité sociale et environnementale croissants. La paix, la liberté, le progrès économique et social et la solidarité constituent le cœur de la construction européenne. Mais pour préserver et promouvoir cet ensemble unique au monde d’États de droits et de valeurs, l’UE doit maintenant se transformer en une puissance géopolitique de premier plan et se donner les moyens de son autonomie stratégique. Il y a urgence !
Entretien réalisé par Laurence Aubron.