L'œil sur l'Europe - Joséphine Staron

OTAN, Trump, Ukraine : un été peu glorieux pour l'Union européenne

Image par Beverly Lussier de Pixabay OTAN, Trump, Ukraine : un été peu glorieux pour l'Union européenne
Image par Beverly Lussier de Pixabay

Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.

Cet été 2025 a été marqué par plusieurs revers pour l’Union européenne. Peut-on parler d’un « été noir » pour l’Europe ?

En tout cas ce n’est pas un été glorieux. L’Europe a accumulé les humiliations et donné l’image d’un acteur impuissant. Tout d’abord au sommet de l’OTAN, les Européens ont dû composer avec un Donald Trump qui multiplie les provocations et menace de réduire l’engagement américain. Mark Rutte, le Secrétaire général a même été très loin dans la flatterie à l’égard du Président américain. Puis, les Européens ont concédé à Donald Trump d’augmenter progressivement leurs dépenses de défense à hauteur de 5 % du PIB… chiffre peu réaliste pour certains pays notamment la France, étant donné les difficultés politiques internes que nous connaissons. Enfin, pour plaire au Président américain, plusieurs pays européens se sont engagés à acheter des armes américaines avec des fonds européens, au profit de l’Ukraine. Bref, l’Europe s’est couchée. Mais la vraie question c’est quelle alternative avions-nous ?

L’Espagne s’est démarquée justement en refusant de s’aligner sur les autres pays européens.

Oui et ça n’a pas été assez commenté mais c’est pourtant très intéressant : l’Espagne refuse de porter son effort militaire à 5 % du PIB et a même annulé une commande de F-35 américains. C’est révélateur : au moment où l’unité est indispensable, les Européens affichent leurs divergences au grand jour. Qui a raison ? L’Espagne seule contre tous ? L’avenir le dira mais c’est très intéressant de voir que les Espagnols s’estiment suffisamment en position de force pour oser dire non à Trump.

L’été a aussi été marqué par l’accord commercial entre l’UE et les Etats-Unis.

Oui. Après des mois de négociations, les Européens ont concédé à Washington 15 % de droits de douane sur les produits européens. Pour certains, on a sauvé les meubles, ça aurait pu être bien pire. Pour d’autres, nous nous sommes, là encore, couchés et avons démontré notre faiblesse stratégique. La vérité se situe probablement, comme souvent, entre les deux. Nous aurions pu continuer le bras de fer avec Donald Trump – nous en avons la puissance économique et commerciale. Mais d’autres choses étaient en jeu, notamment le soutien à l’Ukraine et la défense de l’Europe. Et puis tous les pays européens n’étaient pas sur un même pied d’égalité concernant le commerce transatlantique. Pour les Allemands notamment, la perspective de droits de douane plus élevée était terrifiante. On peut les comprendre. Mais tout cela démontre une fois de plus deux choses : nous payons encore les conséquences des mauvais choix de certains en matière de partenariats commerciaux ; et nous sommes encore très divisés.

La France a dénoncé cet accord.

Comme tous les états membres la France a participé aux négociations. Lorsqu’Ursula von der Leyen, la Présidente de la Commission, se rend en Ecosse sur le terrain de golf de Donald Trump pour signer l’accord, elle a un mandat des 27 pays membres. Donc la France savait très bien ce qui allait être négocié mais étant donné sa situation politique interne, elle n’était probablement pas en position de force pour imposer aux autres, notamment aux Allemands, ses conditions. La responsabilité de cet accord est collective.

Dernier camouflet : la guerre en Ukraine. Toujours peu d’avancées ?

C’est plus qu’un camouflet. Lorsque Donald Trump rencontre seul Vladimir Poutine en Alaska, tout est dit : les Européens ne sont pas des acteurs majeurs et n’auront qu’une place très limitée dans le règlement du conflit. Pourquoi ? Parce que si un accord de paix devait être trouvé un jour, il se ferait entre deux grandes puissances : les Etats-Unis et la Russie. A cause de leurs divisions et d’une intégration non aboutie, les Européens ne représentent malheureusement pas une troisième grande puissance.

Pourtant, ils ont été reçus à Washington après la rencontre Trump-Poutine.

Oui et qu’en a-t-il résulté ? La Russie continue de bombarder l’Ukraine. Les garanties de sécurité pour l’Ukraine évoquées par Donald Trump n’ont toujours pas été exposées et la Russie a clairement dit et redit qu’elle n’acceptera aucun soldat européen pour garantir la paix. Nous sommes donc toujours dans une impasse. Et la coalition des volontaires – même si c’est une initiative extrêmement prometteuse, reste embryonnaire et son action ne s’inscrit qu’après un cessez-le-feu dont Poutine ne veut de toute façon pas.

Peut-on espérer que l’Europe tire des leçons de cet été difficile, ou risque-t-elle de s’enliser dans cette impuissance ?

Tout dépend de la réaction dans les prochains mois. Si l’Europe continue à subir et à réagir au coup par coup, elle restera marginalisée. Mais ces humiliations peuvent aussi servir de déclencheur. L’Espagne, par exemple, montre qu’une autre voie est possible : refuser la fuite en avant militaire, privilégier une industrie de défense européenne, investir dans l’autonomie stratégique plutôt que dans la dépendance aux États-Unis. Certains y voient une posture isolée, presque un refus de solidarité. Mais on peut aussi y voir un laboratoire d’une nouvelle approche européenne : une défense plus intégrée, plus souveraine, qui ne soit pas dictée par les exigences de Washington. La question est de savoir si ce modèle peut convaincre d’autres États. L’été 2025 pourrait alors être vu comme un moment de bascule, soit vers davantage d’impuissance collective, soit vers la naissance d’une vision européenne plus autonome, sans pour autant rompre le lien transatlantique. Nous devons avoir le courage du rapport de force. Trump, Poutine, Xi-Jinping, ils ne respectent que ça. Alors jouons le jeu et parlons le même langage.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.