Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.
Aujourd’hui, vous souhaitez revenir sur les évènements de la semaine dernière au Moyen-Orient : la COP28 bien sûr, mais aussi la visite surprise de Vladimir Poutine aux Émirats et en Arabie Saoudite.
Oui, je pense que ce qu’il s’est passé la semaine dernière en dit long sur l’état de l’ordre mondial actuel. Déjà la COP28. On a entendu les pays, notamment la France, appeler à mettre fin à l’utilisation du charbon – déclaration qui visait d’ailleurs l’Allemagne, grande utilisatrice et importatrice de charbon en dépit de ses déclarations en faveur du climat et de la présence des écologistes au gouvernement. On a aussi entendu que le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, appelait à ne pas faire de compromis sur les objectifs et qu’il prônait une vraie justice climatique. On a également entendu qu’il y aurait des compensations financières pour les pays les moins avancés dans la transition énergétique – compensations financées par certains pays Européens ainsi que le Royaume-Uni. Et puis, après une semaine de négociations et à quelques heures d’un nouvel accord international, surprise générale : les pays de l’OPEP – l’Organisation des pays exportateurs de pétrole – annoncent qu’ils s’opposent à tous les accords qui iraient contre les énergies fossiles. Donc la question qu’on se pose aujourd’hui, finalement, c’est : tout ça pour ça ?
La visite du Président Russe a-t-elle un lien, selon vous, avec cette décision ou ce revirement des pays de l’OPEP ?
On ne peut bien évidemment pas établir de lien direct. Mais ce qui est certain, c’est que la visite de Vladimir Poutine tombait à point nommé. D’autant qu’après avoir été reçu par le Président des Émirats et le Prince héritier d’Arabie Saoudite, il recevait à Moscou le Président Iranien. Le point commun entre tous ? Ils sont tous membres de l’OPEP ou de l’OPEP +, l’organisation créée en 1960 et dont la mission principale est de garantir l’équilibre des marchés pétroliers. Alors pourquoi est-ce que c’est important de le rappeler aujourd’hui ? Parce qu’il y a quelques semaines, les pays de l’OPEP ont décidé de réduire le nombre de barils de pétrole par jour. Objectif : faire monter les prix. Or, cette tactique n’a pas encore porté ses fruits puisque les prix avaient même baissé et atteint leur plus bas niveau depuis 5 mois. Pour tous ces pays dont l’exportation de pétrole représente la première source de revenus, l’enjeu est colossal et l’organisation de la COP à Dubaï était une opportunité en or pour faire valoir leurs intérêts, au détriment du climat bien sûr.
L’enjeu de la guerre entre Israël et le Hamas et de la situation à Gaza était également très présent pendant la COP28...
Oui et c’est d’ailleurs ce qui vient renforcer mon sentiment que la COP28 a révélé, pour ceux qui en doutaient encore, le fossé de plus en plus grand qui se creuse entre les pays Occidentaux et les autres. Concernant la guerre Israël-Hamas, on voit bien que la seule médiation qui semble un tant soit peu fonctionner (avec la libération d’otages) est celle du Qatar, et non celle des États-Unis. On voit aussi un retour en fanfare de la Russie sur le devant de la scène internationale qui se sert du conflit au Moyen-Orient pour redorer son blason auprès des dirigeants arabes et se positionner comme partenaire fiable. Enfin, on voit que ceux qui souhaitaient le plus isoler Vladimir Poutine, sont désormais ceux qui, dans le contexte du conflit avec Israël, se retrouvent isolés à leur tour : la semaine dernière, en marge de la COP, les Émirats Arabes Unis ont présenté une résolution devant le Conseil de sécurité des Nations-Unies appelant à un cessez-le-feu humanitaire immédiat à Gaza. Les États-Unis ont mis leur véto à ce texte, et les Britanniques se sont abstenus.
Qu’est-ce que cela nous dit de l’état des relations internationales aujourd’hui ?
La vision optimiste, ce serait de dire que désormais le rapport de force est parfaitement équilibré entre les puissances démocratiques occidentales, et les puissances autocratiques que représentent la Chine, la Russie, et les pays du Moyen-Orient (Iran, Arabie Saoudite, Émirats, Qatar...).
Et la vision pessimiste ?
Et bien que ce rapport de force est en fait désormais déséquilibré et qu’il penche en faveur des autocraties, bien plus qu’en faveur de nos démocraties. Alors cela ne veut pas dire que nous sommes totalement déclassés et que nous n’aurons plus notre mot à dire dans les affaires internationales. Mais cela signifie que nous allons devoir repenser nos stratégies et surtout nos objectifs. Et cette réflexion, si on veut qu’elle aboutisse à quelque chose de concret et à renforcer nos démocraties, à défendre nos intérêts, nos valeurs, nos modèles économiques et sociaux, elle doit impérativement être collective. La solidarité européenne et transatlantique n’a sans doute jamais été aussi importante qu’aujourd’hui. Espérons simplement que nos dirigeants en aient pleinement conscience.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.