Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.
Aujourd’hui vous souhaitez revenir sur les résultats du dernier sondage de l’Eurobaromètre publié au début du mois. Ce sondage évoque entre autres l’intérêt des Européens pour les prochaines élections européennes, ainsi que leurs attentes pour les années à venir. Quels sont selon vous les points marquants de cette nouvelle enquête ?
Il y en a plusieurs. Le premier, c’est l’intérêt d’une majorité d’Européens pour les élections de l’an prochain : ils sont 56 % en moyenne à se déclarer intéressés, soit 8 % de plus qu’en 2018. Sans surprise, c’est dans les pays du Nord de l’Europe que le pourcentage est le plus élevé : Danemark, Suède, Pays-Bas, Allemagne. En revanche, on constate que les Français sont bien moins enthousiastes : avec 43 % d’intérêt déclaré pour les élections européennes, ils se trouvent à la 18ème place du classement ... ce qui n’est pas très glorieux pour un des pays fondateurs de la Communauté européenne.
Comment est-ce qu’on peut expliquer ce désintérêt des Français pour les élections européennes ?
La classe politique française a une lourde part de responsabilité. La France a toujours eu une attitude un peu schizophrène vis-à-vis de l’Europe. À la fois moteur et ralentisseur lorsqu’on considère que les choses ne vont pas dans notre intérêt. Jusque-là, rien d’anormal puisque c’est bien ce que doit faire chaque État pour défendre les intérêts de sa population. Le problème avec la France, c’est qu’elle a souvent fait preuve d’arrogance et qu’elle a donc cru qu’elle pouvait se passer carrément d’une activité de lobbying au sein des institutions européennes. En gros, les politiques Français ont souvent cru qu’ils leur suffisaient de mener leurs affaires comme ils l’entendaient au niveau national, et que le niveau européen suivrait sans broncher. Le résultat, c’est que la France n’a pas souvent obtenu les postes clés au sein des institutions européennes, par manque de volonté. Contrairement aux anglo-saxons ou aux pays du nord qui dès le départ ont très bien compris que leurs intérêts nationaux seraient mieux défendus s’ils occupaient les postes décisionnaires à la Commission et au Parlement européen. Et c’est exactement ce qu’il s’est passé. Alors quand les Français déplorent que l’Union européenne prenne des décisions qui favorisent certains petits pays, ou les économies du Nord, il ne faut pas s’en étonner et nos politiques ont une réelle responsabilité dans cet état de fait.
C’est donc presque un blocage culturel pour la France que vous décrivez. Est-ce qu’avec le volontarisme d’Emmanuel Macron depuis son discours de la Sorbonne 2017, on peut espérer que des verrous soient enfin levés ?
Oui, l’intérêt que porte le Président Macron à l’Europe est un véritable atout et une chance pour la France de peser à nouveau dans les grands débats européens. Même si le défaut d’arrogance n’a pas été entièrement gommé, loin de là, les choses semblent aller dans le bon sens. La nomination de Thierry Breton à l’un des postes les plus importants de la Commission est également une très bonne nouvelle. D’autant que l’impulsion qu’il donne depuis sa nomination est vraiment suivie par une majorité de pays européens. Mais il faudra du temps pour que les mentalités françaises évoluent, notamment en ce qui concerne les élections européennes. Si les Français se disent peu intéressés en comparaison avec d’autres pays européens, c’est pour deux raisons principales. Premièrement, parce que les partis politiques ne jouent absolument pas le jeu : ils continuent de voir les élections européennes comme des élections de seconde catégorie et comme le moyen de recaser des personnalités politiques qui n’ont pas trouvé leur place à l’échelon national. Ils ne privilégient donc pas la compétence ou l’intérêt des candidats pour la chose européenne, mais davantage les désidérata de carrière des uns et des autres. Et ça, les Français le ressentent très bien. Et deuxièmement, le peu de couverture médiatique des élections européennes n’arrange rien. C’est à peine si les médias en parlent quelques semaines avant le scrutin. Donc pour encourager une véritable culture politique européenne, cela doit d’abord passer par un geste de la part des partis politiques et de la sphère médiatique.
Dans le sondage Eurobaromètre que vous citez, il y a d’autres éléments intéressants qui poussent à l’optimisme, notamment le fait que 64 % des Européens se déclarent optimistes quant au futur de l’Union européenne.
Oui, et ce n’est pas anodin puisque ce pourcentage a pris 7 points supplémentaires en moins de 6 mois. Ce qui semble indiquer que les Européens ont conscience de tous les efforts entrepris par l’UE ces derniers mois pour agir au plus près de leurs intérêts. D’ailleurs, une des questions de l’enquête portait directement sur les sentiments des Européens vis-à-vis de l’UE. Celui qui est arrivé en tête, c’est l’espoir avec 37 % de réponses. C’est très positif parce qu’il est beaucoup plus facile d’impulser des changements politiques dans une société qui tend davantage vers l’optimisme que vers des attitudes négatives. Cela ne veut pas dire que les Européens ne sont pas inquiets, loin de là. Mais cela dénote une confiance particulière dans le niveau européen de gouvernance pour gérer des problèmes jugés importants. D’ailleurs, 71 % des sondés estiment que l’Union européenne a une influence sur leur vie quotidienne (positive ou négative), et 69 % se disent satisfaits du soutien de l’UE à l’Ukraine, 64 % estiment que l’UE joue sa part dans la protection de la démocratie et de l’état de droit.
Quelles sont les attentes principales des Européens aujourd’hui vis-à-vis de l’action européenne ?
Ce qui est certain c’est qu’ils attendent plutôt davantage de la part de l’UE, que moins. Ce qui est déjà un signe positif. C’est sur la question du niveau de vie que les attentes sont les plus fortes. Les sujets économiques et sociaux sont donc considérés comme des priorités, notamment face à l’inflation, à l’augmentation du coût de la vie, à la problématique du chômage et de l’emploi des jeunes, mais aussi dans le domaine de la santé (ce qui provient très clairement de la crise sanitaire). Au final, c’est une meilleure protection et une plus grande solidarité que les Européens attendent de l’Union européenne. Et cela semble plaider en la faveur d’une nouvelle répartition des compétences entre les niveaux national et européen de gouvernance. Même si, on le sait bien, les chances de parvenir à changer les traités existants sont extrêmement minces. Mais, si la classe politique et médiatique prend la mesure des changements qui ont cours depuis plusieurs mois en Europe, on peut s’attendre à des débats vraiment passionnants lors des prochaines élections européennes. C’est en tout cas ce qu’il nous faut souhaiter.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.