L'œil sur l'Europe - Joséphine Staron

La fin d’un monde, le début d’un autre : quelle géopolitique pour demain ?

Photo de NastyaSensei - Pexels La fin d’un monde, le début d’un autre : quelle géopolitique pour demain ?
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Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.

Dans un article récent, vous partez d’une constatation forte : nous assistons à la fin d’un monde et au début d’un autre. Que voulez-vous dire par là ?

Ce que nous vivons actuellement est une transformation radicale de l’ordre international tel qu’il existait depuis la fin de la Guerre froide. L’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche pour un second mandat a accéléré cette mutation. Son approche des relations internationales repose sur un retour à l’unilatéralisme et à la loi du plus fort, ce qui fragilise les institutions multilatérales et reconfigure les rapports de puissance.

Vous évoquez dans votre article les ambitions impérialistes de Donald Trump. En quoi sont-elles différentes de celles de son premier mandat ?

Lors de son premier mandat, Donald Trump était déjà dans une logique de repli, avec son slogan « America First », mais cette fois, il va encore plus loin en assumant une posture quasi impérialiste. L’exemple du Groenland est révélateur : il réaffirme son intérêt pour ce territoire, dans une logique de contrôle stratégique des ressources. Il exerce également une pression économique et politique sur ses voisins, le Mexique et le Canada, et sur des zones clés comme le canal de Panama. Il ne se contente plus d’un repli protectionniste, il cherche aussi à étendre son influence par des moyens très directs.

L’un des moments les plus marquants que vous décrivez est la rencontre entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky. Pourquoi cet épisode est-il si significatif ?

Parce qu’il illustre parfaitement la brutalité des nouvelles relations internationales. La scène était choquante : Donald Trump et son vice-président J.D. Vance ont publiquement humilié le président ukrainien, conditionnant leur soutien à l’Ukraine à une soumission totale aux intérêts américains. Cette approche traduit un tournant majeur : les États-Unis ne se positionnent plus en défenseurs de la démocratie, mais en prédateurs économiques, cherchant à tirer profit des conflits plutôt que de les résoudre.

Le vote du Conseil de sécurité de l’ONU a également marqué un tournant. Que faut-il en retenir ?

Ce vote consacre un changement de paradigme. Pour la première fois, une résolution portée par les États-Unis, la Russie et la Chine sur l’Ukraine évite de qualifier la guerre d’« agression » et ne mentionne pas la nécessité de restaurer l’intégrité territoriale du pays. Cela valide en quelque sorte la vision russe du conflit et marque un affaiblissement des principes de souveraineté qui étaient jusqu’ici au cœur du droit international.

Face à ce bouleversement, quelle peut être la réponse de l’Europe ?

L’Europe n’a plus le choix : elle doit devenir un acteur stratégique à part entière. Nous voyons déjà des signaux forts, notamment avec le réarmement et la volonté de renforcer l’autonomie stratégique. Des alliances se forment, avec le Canada, la Turquie, ou encore l’Inde qui se rapproche de l’Union européenne sur le plan économique. La question est de savoir si ces initiatives suffiront à stabiliser un ordre mondial en pleine fragmentation.

Vous concluez votre article sur une interrogation : ce nouveau monde sera-t-il plus stable ou plus instable ? Quel est votre sentiment aujourd’hui ?

Nous entrons dans une période de forte instabilité. Les grands blocs se redéfinissent, les alliances se recomposent, et la Chine, discrète mais méthodique, profite de cette recomposition. À court terme, nous allons probablement assister à une multiplication des tensions et des rapports de force brutaux. Mais l’Europe, si elle sait saisir l’opportunité de son réveil stratégique, pourrait jouer un rôle majeur dans la reconstruction d’un nouvel équilibre. Mais encore faut-il que l’on passe des mots aux actes. Le plan Rearm EU annoncé par la Commission est un bon début, mais si cet argent est dépensé par chacun des États sans concertation et dans le désordre, il ne servira à rien. L’enjeu n’est pas de dépenser plus pour notre défense, mais surtout de dépenser mieux et ensemble, en Européens. Si on compare la Russie ou les Etats-Unis à la France, à l’Allemagne, à l’Italie ou n’importe quel état européen, on ne fait pas le poids. Mais si on compare l’ensemble des États européens, ou au moins les principaux pays, là on pèse. Achever l’intégration politique européenne n’a jamais été aussi urgent qu’aujourd’hui. C’est un enjeu existentiel mais les États et les opinions publiques sont-ils prêts à faire ce saut fédéral ? Malheureusement j’en doute.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.