Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.
La semaine dernière, vous avez évoqué les avancées européennes en matière de sécurité et de défense, notamment dans le cadre de la guerre en Ukraine. Vous mettiez notamment en garde contre le risque de naïveté sur ces enjeux, dont ont souvent fait preuve les États européens. Cette semaine, l’Union européenne a annoncé une feuille de route en matière de sécurité dans le domaine spatial, préfigurant une loi sur l’espace, promise en 2024. C’est une avancée notable ?
Oui, c’est même un pas de géant si on se réfère aux déclarations des années passées concernant le domaine spatial. Ça fait des années que la France tente d’influencer les institutions européennes et les États membres pour qu’ils regardent l’espace du point de vue des enjeux de sécurité et de défense, et pas uniquement à travers une vision civile et commerciale. Donc le fait que la Commission européenne, sous l’impulsion de Thierry Breton, et le service européen d’action extérieure, avec Josep Borrell, aient élaboré une véritable stratégie spatiale pour la défense, c’est une avancée majeure.
Concrètement, de quoi s’agit-il ?
C’est l’affichage de l’ambition spatiale de l’Europe, qui s’inscrit dans la même ligne que la stratégie spatiale de défense de la France qu’elle a développée dès 2019. Pendant la Présidence Française du conseil de l’UE, en 2022, la France a beaucoup œuvré pour que les États prennent ce sujet au sérieux, et surtout avec des ambitions collectives fortes. Concrètement, la stratégie spatiale européenne repose sur plusieurs axes. Tout d’abord, permettre une compréhension commune des enjeux et surtout des menaces (c’est la même méthode que pour la Boussole stratégique, mais appliquée au domaine spatial). Pour l’instant, l’un des plus gros enjeux consiste à être capable de détecter et de caractériser les menaces dans l’espace. Peu d’États en sont capables en Europe. Donc la stratégie européenne vise à assurer collectivement, par la mutualisation des données issues des moyens spatiaux de renseignement des États membres et de l’UE notamment, une vraie surveillance de l’espace.
Il y a aussi un enjeu concernant les infrastructures ?
Oui, l’ambition de la stratégie spatiale de défense de l’Europe, c’est de pouvoir renforcer, consolider la souveraineté ou l’autonomie technologique des Européens. On voit bien que le paysage est surtout occupé par des acteurs non-européens, notamment américains avec le programme SpaceX qui a, dès le début de la guerre en Ukraine, démontré toutes ses capacités et ses potentialités techniques. En Europe, nous sommes loin d’avoir de tels programmes, mais l’ambition est là. Concernant les infrastructures existantes, comme Galileo – le système européen de géolocalisation, ou Copernicus – la constellation de satellites d’observation, l’idée est de les utiliser, non pas uniquement à des fins civiles comme c’était le cas jusqu’à présent, mais aussi à des fins de sécurité et de défense.
Quels sont les grands enjeux en matière de défense spatiale aujourd’hui ?
Lorsqu’on parle de défense spatial, il ne faut pas imaginer tout de suite le remake de la guerre des étoiles. Les technologies ne sont pas aussi avancées et les menaces sont en réalité plus subtiles, mais pas moins dangereuses. L’espace est devenu un milieu de contestation dans lequel la compétition entre les puissances bat son plein. Et cette compétition, elle n’est pas que commerciale ou technologique. Ce sont les Russes et les Chinois qui font le plus de démonstrations de forces et de leur puissance technologique. L’un des enjeux dont on parle beaucoup, c’est celui des débris spatiaux : leur trajectoire étant incertaine, ils peuvent causer des dégâts conséquents sur les satellites ou les stations spatiales. Il y a un enjeu d’espionnage aussi qui est majeur. Donc la stratégie spatiale de défense de l’Europe, elle constitue une première pierre pour inscrire les Européens dans cette compétition et leur assurer une certaine maîtrise de l’espace, comme lieu de confrontation. Mais toujours avec une vision défensive et non offensive, c’est d’ailleurs ce qui la distingue des puissances comme la Chine ou la Russie.
Quelles sont les prochaines étapes ?
La prochaine étape, c’est de donner une traduction concrète, dans le domaine industriel et opérationnel à cette stratégie. Les États se sont accordés sur des principes. C’est déjà bien. Mais ça ne peut pas suffire. Demain, tous les projets spatiaux devront avoir une double visé : à la fois civile, et défensive. C’est par exemple le cas du programme IRIS qui est en cours de développement. C’est un projet de constellation de communications qui sera dotée d’une bande passante cryptée pour l’armée. Une prochaine étape, c’est de soutenir concrètement et à la hauteur des besoins, l’industrie européenne et les entreprises émergentes de ce qu’on appelle le New Space européen. Il faut leur donner les moyens d’innover et de mettre à disposition des Européens des outils de pointe, capables de rivaliser avec ceux des autres, Chine et Russie, mais aussi États-Unis. C’est dans le domaine des lanceurs de fusée qu’il va falloir particulièrement investir. On a vu dernièrement des échecs qui mettent un frein à la stratégie spatiale européenne : le retard de la fusée ariane 6, ou l’échec du lanceur Véga C en décembre dernier. Sans fusée et capacité de lancement propre, l’UE n’aura pas la crédibilité qu’elle recherche. Elle doit donc investir davantage dans ce domaine, et très vite.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.