L'œil sur l'Europe - Joséphine Staron

Sommet de l’IA : quels défis pour l’Europe ?

Photo de Matheus Bertelli - Pexels Sommet de l’IA : quels défis pour l’Europe ?
Photo de Matheus Bertelli - Pexels

Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.

Le Sommet de l’intelligence artificielle débute à Paris. Pourquoi cet événement est-il stratégique pour l’Europe ?

Ce sommet est une opportunité unique pour l’Europe de réaffirmer son rôle dans la course mondiale à l’IA. Alors que les États-Unis et la Chine dominent largement le marché, l’Europe cherche à imposer une "troisième voie", qui combine innovation technologique et régulation éthique. Le sommet permet aussi de coordonner les efforts entre pays européens et de définir une stratégie commune pour renforcer nos champions technologiques comme Mistral AI et soutenir la recherche dans le domaine.

L’Europe accuse un retard en matière d’investissement et d’infrastructures par rapport aux géants américains et chinois. Comment peut-elle combler cet écart ?

Le retard est réel, mais des initiatives émergent. Emmanuel Macron a annoncé des investissements massifs de 109 milliards d’euros pour soutenir le développement de l’IA en France, notamment avec la construction de nouveaux data centers. À l’échelle européenne, la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, prévoit un plan pour mettre à disposition des supercalculateurs publics aux start-ups et chercheurs. L’objectif est d’offrir des ressources compétitives pour entraîner des modèles performants et éviter une dépendance aux infrastructures américaines ou chinoises.

L’Europe mise aussi sur une approche plus éthique et responsable de l’IA. Quelles mesures sont envisagées dans ce domaine ?

L’un des grands enjeux du sommet est d’établir des principes forts sur la régulation de l’IA, notamment en matière de protection des droits, de propriété intellectuelle et de lutte contre la désinformation. La création de la fondation Current AI, financée par des acteurs publics et privés, va dans ce sens. Cette fondation vise à promouvoir une intelligence artificielle "d’intérêt général", en mettant l’accent sur la transparence, la gouvernance responsable et l’accessibilité des modèles d’IA aux entreprises et aux chercheurs européens.

La concurrence s’intensifie avec l’arrivée de nouveaux acteurs comme DeepSeek. L’Europe peut-elle encore espérer jouer un rôle de leader ?

Oui, à condition d’adopter une stratégie claire et ambitieuse. L’arrivée de DeepSeek a prouvé que des alternatives aux géants américains sont possibles, mais l’Europe doit encore accélérer sur le financement et l’industrialisation de ses modèles d’IA. Mistral AI incarne un espoir en proposant des modèles performants et économes en ressources. L’Europe doit aussi renforcer ses alliances et attirer davantage d’investissements pour rivaliser avec les initiatives américaines et chinoises. Ce sommet est un premier pas pour affirmer notre souveraineté technologique et définir une feuille de route commune.

Mais l’Europe se donne-t-elle vraiment les moyens de rester dans la course à l’intelligence artificielle, et plus globalement dans la course technologique ?

L’Europe a pris conscience de l’importance stratégique de l’IA, mais la question reste de savoir si elle agit assez vite et avec suffisamment d’ambition. Les investissements annoncés sont significatifs, mais encore loin des 500 milliards de dollars promis par les États-Unis pour leurs infrastructures IA. De plus, l’Europe doit surmonter ses propres défis : fragmentation des financements, lourdeur administrative et difficulté à conserver les meilleurs talents. Pour rester compétitive, elle doit accélérer ses investissements dans les technologies de rupture, simplifier l’accès aux financements pour les start-ups et créer un cadre réglementaire qui favorise l’innovation sans l’étouffer. L’Europe est leader sur la régulation de l’IA avec le premier règlement sur l’IA (IA Act), premier cadre juridique au monde pour encadrer cette technologie. Cet avantage normatif pourrait lui permettre d’imposer ses standards et d’influencer la gouvernance mondiale de l’IA. Le sommet de Paris est une étape importante, mais il faudra des actions concrètes et soutenues dans les prochaines années pour que l’Europe puisse réellement peser sur la scène mondiale : investir massivement et ne pas se contenter d’un rôle de régulateur ; soutenir des champions industriels européens avec une politique industrielle forte ; et pourquoi pas aussi créer des alliances stratégiques avec des pays partageant les valeurs européennes pour réduire notre dépendance aux géants américains et chinois.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.