L'œil sur l'Europe - Joséphine Staron

Ocean Viking et Qatargate : les institutions européennes en dangers ?

Ocean Viking et Qatargate : les institutions européennes en dangers ?

Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.

Cette semaine, pour clôturer ce bilan de l’année 2022, vous allez revenir sur deux épisodes qui ont ébranlé les institutions européennes : celui du navire Ocean Viking, qui a montré les divergences persistantes en termes d’immigration entre les États membres ; et le Qatargate, qui a levé le voile sur la porosité des institutions européennes face aux lobbies.

Oui il m’a semblé utile de terminer ce tour d’horizon 2022 par deux scandales qui ont révélé les faiblesses de l’UE, sur deux sujets très différents mais révélateurs du travail qu’il reste à accomplir si on veut bâtir une Union européenne plus efficace et plus solidaire. Déjà, l’épisode du navire Ocean Viking. Pour rappel, c’est un bateau de sauvetage affrété depuis 2019 par l’ONG SOS Méditerranée. À l’origine, il était destiné à des opérations de sauvetage en mer du Nord pour l'industrie pétrolière et gazière. En novembre dernier, et comme chaque mois depuis qu’il a été repris par l’ONG, ce bateau a secouru plusieurs centaines de migrants dans la Méditerranée, qui tentaient de rejoindre les rives européennes dans des embarcations de fortune. Selon la loi maritime, c’est vers le port le plus proche du navire que les migrants doivent être acheminés, et en l’occurrence et comme souvent du fait de sa position géographique, c’est Malte qui a été concerné en premier. Mais Malte a refusé d’accueillir le bateau, et l’ONG s’est alors tournée vers le deuxième pays le plus proche, l’Italie. Problème : l’Italie, qui venait de voir quelques semaines plus tôt l’élection de Georgia Melloni, affiliée à la droite radicale italienne, a elle aussi refusé d’accueillir le navire et ses migrants sur son sol.

On se souvient effectivement du bras de fer qui a opposé l’Italie aux autres États membres de l’UE, notamment la France.

Oui, surtout la France puisque le troisième pays le plus proche après l’Italie, et bien c’était la France. Mais pendant 3 semaines, les pays se sont rejetés la responsabilité de l’accueil. La France se défendait en exigeant que l’Italie applique le droit maritime ; et l’Italie demandait la solidarité des autres États côtiers et mettait en avant le fait qu’elle était quasiment toujours la seule, avec Malte et la Grèce, à devoir accueillir les navires et leurs migrants. Ces pays sont ce qu’on appelle des pays de première entrée, à cause de leur position géographique, et subissent donc depuis plusieurs années un afflux constant de migrants. Déjà, en 2015, la question de la solidarité s’était posée, et la Commission avait décrété des quotas. Mais on se souvient de l’échec de cette politique : non seulement aucun des États n’a accueilli son quota de migrants, mais en plus, des États d’Europe centrale on construit des murs physiques pour empêcher les flux de migrants.

Et cette fois-ci, comment l’Union européenne a-t-elle réagi ?

La question migratoire n’a jamais cessé de faire débat. Les États et les institutions savent bien que le risque d’une nouvelle crise migratoire du même type que celle de 2015 est réelle. Ils ont aussi conscience de la corrélation entre montée de l’extrême droite partout en Europe, et augmentation des flux migratoires non maitrisés. Pourtant, depuis 2015, il n’y pas grand-chose qui a été fait pour préparer l’Europe à une nouvelle crise. Mais en juin dernier, donc quelques mois avant l’épisode de l’Ocean Viking, une majorité d'États membres s'étaient mis d'accord sur le principe d'un pacte de solidarité. Pour faire simple, les pays méditerranéens accueillent les bateaux dans leurs ports et les autres États s'engagent ensuite à prendre une part des demandeurs d'asile ou a minima à aider financièrement les pays d'accueil. Mais cet accord n’a pas suffi. C’est finalement la France, sous la pression, qui a accueilli le navire dans son port de Toulon.

Qu’est-ce que cette affaire révèle de l’état de l’Union aujourd’hui ?

Elle montre qu’il y a encore quelques domaines dans lesquels les divergences entre les États subsistent, malgré le besoin urgent de trouver une solution commune. La migration en est un, et c’est l’un des sujets les plus clivants : c’est en partie ce qui a accéléré le Brexit, et c’est aussi une source de tensions entre les pays du Nord et du Sud, et de l’Est et de l’Ouest. Donc il y a encore un vrai travail à faire à ce niveau-là, non pas en privilégiant un groupe d’États par rapport à un autre, mais au contraire, en cherchant une solution véritablement solidaire et efficace. Car l’efficacité, c’est ce que demandent les citoyens.

Ils demandent aussi la transparence et l’exemplarité de leurs représentants. Or, l’affaire du Qatargate a encore une fois ébranlé la confiance des Européens dans les institutions. L’UE a-t-elle suffisamment montré qu’elle prenait cette affaire au sérieux ?

Je pense que oui, d’autant qu’aujourd’hui plus que jamais, vu l’étendue des politiques européennes, les institutions ont besoin de la confiance des États et des citoyens. Mais la question de la porosité des institutions européennes aux lobbies est ancienne. Suite à la célèbre affaire Monsanto en 2019, qui avait révélé la corruption exercée par l’industrie agro-chimique sur les parlementaires européens et les fonctionnaires de la Commission, l’UE a mis en place de nouvelles règles de transparence : le Parlement, le Conseil et la Commission disposent d'un registre de transparence commun pour la surveillance des activités des représentants d'intérêts. Les députés et les commissaires sont tenus de publier les informations sur leurs contacts avec les groupes de pression. Donc il y a eu un effort de transparence.

Mais après ce qu’il s’est passé avec la Vice-Présidente du Parlement européen, Eva Kaili, accusée de corruption et de blanchiment, ça n’est vraisemblablement pas suffisant ?

Non et on le voit bien. L’accès des lobbyistes dans les lieux de pouvoir, c’est quelque chose qu’on ne connaît pas bien en France, ce n’est pas notre culture. C’est plutôt une culture anglo-saxonne et elle s’est imposée dans la construction européenne. Aujourd’hui, on en paye le prix. Il faut vraiment espérer que l’Union européenne sera beaucoup plus ferme en matière de restrictions des lobbies dans les prochains mois. C’est une nécessité si elle ne veut plus que d’autres histoires de corruption, d’une telle ampleur, surgissent. Mais si on ne fait rien, malheureusement ça continuera. Et ce n’est pas qu’une faiblesse en termes de démocratie. C’est aussi une faiblesse stratégique que des États non européens savent très bien exploiter, à nos dépens. D’ailleurs, lorsque le Qatargate a éclaté, le Qatar a immédiatement menacé les Européens de couper leurs approvisionnements en gaz si des mesures de rétorsion étaient décidées... Ne pas réglementer davantage les lobbies, c’est nous exposer collectivement à la manipulation et aux chantages d’autres pays qui ne nous veulent pas toujours du bien. Ça doit devenir un des chantiers prioritaires de 2023.

Entretien réalisé par Cécile Dauguet.