Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.
Aujourd’hui, nous nous sommes tous réveillés un peu sonnés par les résultats et les annonces d’hier soir. Comment analysez-vous les résultats, déjà en France ?
Hormis l’annonce de la dissolution, on ne peut pas dire qu’on soit surpris par les résultats. Les sondages étaient proches de la réalité donc pas vraiment de surprise. Les Français ont voté à presque 32 % pour le Rassemblement national. Si c’est un vote très significatif, on ne peut pas dire qu’il soit fondé sur des enjeux spécifiquement européen. Les Français ont sanctionné le camp présidentiel et affirmé leur préférence pour un parti politique qui a su tourner habilement la situation à son avantage. Est-ce que ça veut pour autant dire que les Français ont voté contre l’idée d’Europe ? Non, loin de là. D’ailleurs, la campagne de Jordan Bardella n’a jamais été centré autour d’un frexit, ni même d’une sortie de l’Euro. Donc au niveau national, les résultats sont effectivement significatifs. Mais ils ne le sont pas tant que ça au niveau européen.
Justement au niveau de l’Union européenne, est-ce qu’on est vraiment en train d’assister à une vague d’extrême droite ?
Non, là encore, il faut relativiser. Depuis 20 ans les résultats des droites radicales augmentent, mais on n’est pas face à un raz-de-marée. Si on fait un rapide tour d’horizon : en France et en Autriche, ce sont effectivement les partis d’extrême droite qui sont arrivés en tête. Le RN et le FPO autrichien siègent pour l’instant tous les deux dans le groupe Identité et Démocratie au Parlement européen. En Italie, le parti de Georgia Meloni (Frateli d’Italia) est sans surprise arrivé en tête. Mais elle siège au sein d’un groupe différent, le Groupe des Conservateurs et Réformistes européens. Quant à la Hongrie, le Fidesz de Viktor Orban est arrivé majoritairement en tête, mais les députés du Fidesz ne siègent dans aucun groupe politique, ils sont dans les non-inscrits. Donc déjà, pour l’instant du moins, il n’y a pas d’union des droites radicales au sein d’un parti politique unique capable de changer la donne au Parlement européen. Ensuite, si on regarde l’Allemagne, l’Espagne, le Portugal, la Slovaquie, les Pays-Bas ou la Pologne, la droite radicale est arrivée derrière les partis traditionnels, même si les scores sont significatifs. Donc pas de quoi changer véritablement la donne au Parlement là encore.
La situation en Allemagne est quand même un peu particulière puisque l’AFD est arrivée deuxième, et première dans certaines régions d’Allemagne de l’Est.
Oui l’AFD a fait une percée historique. Et il va falloir attendre l’automne, les prochaines élections régionales dans certains Länders, pour voir si cette percée se confirme et s’accentue. En revanche, pour la coalition gouvernementale c’est une catastrophe. Les trois partis de la coalition arrivent derrière, pour certains comme les Verts et les Libéraux, ils sont même très loin derrière. La CDU/CSU a une nette avance sur les autres partis : 15 points devant l’AFD, 17 points devant les sociaux-démocrates d’Olaf Scholz, et 19 points devant les Verts ! C’est donc un gros revers politique pour le Chancelier, plus important encore que pour le camp d’Emmanuel Macron en France qui, lui, se place quand même en deuxième position.
Les équilibres politiques au niveau du Parlement européen vont-ils être chamboulés ?
Il est encore un peu tôt pour le dire. Ce qui est certain c’est que pour l’instant, au vu des résultats, les équilibres restent relativement inchangés. Le Parti populaire européen reste majoritaire et gagne même des sièges supplémentaires, et les socio-démocrates se maintiennent à un ou deux sièges près. ECR et ID, les deux groupes de la droite radicale sont renforcés mais leur nombre de sièges n’est pas non plus doublé. En revanche, les vrais changements sont du côté des Verts et de Renew. Sur la mandature précédente, les Verts avaient 71 sièges, aujourd’hui ils tombent à 53. Concernant Renew, ils passent de 102 députés à 79, notamment en raison du faible score français. Pour savoir quels impacts auront ces élections sur les politiques européennes, il va falloir attendre la mi-juillet. Dès aujourd’hui, les groupes politiques européens vont se réunir pour savoir avec qui ils vont s’allier pour la prochaine mandature.
A quoi peut-on s’attendre ?
Il y a plusieurs scénarios possibles. Le premier scénario c’est qu’on retrouve la même coalition qu’en 2019 : PPE – socio-démocrates – Renew. Le second, c’est qu’il y ait uniquement des coalitions de circonstances, texte par texte. Mais de toute façon, le PPE est majoritaire donc ils seront incontournables sur tous les textes. Un autre scénario ce serait l’une union des gauches. Si les socio-démocrates, les Verts et The Left s’allient, ils totaliseraient environ 225 sièges. Mais c’est peu probable. S’il y a alliance, elle se fera sans doute au coup par coup car, comme les droites, les gauches européennes sont très différentes d’un pays à l’autre. Enfin, dernier scénario, celui plébiscité par Viktor Orban lui-même, c’est une union des droites radicales. Dans une interview donnée au Point la semaine dernière, le Président hongrois appelle de ses vœux un rapprochement au sein d’ECR entre Georgia Meloni et Marine Le Pen. Là, on assisterait effectivement à un renforcement net de l’extrême droite.
C’est crédible ?
Là encore c’est un peu tôt pour le dire. Jusqu’à présent, Georgia Meloni gardait ses distances avec Marine Le Pen, notamment en raison de la proximité du RN et de l’AFD allemande. Mais le groupe Identité et Démocratie a récemment décidé d’exclure l’AFD, ce qui pourrait rendre le camp du RN plus fréquentable pour le groupe ECR dans lequel siège Meloni ainsi que le PIS polonais. Et au vu du score du Rassemblement national hier soir qui envoi 30 députés au Parlement, il est possible que Marine Le Pen devienne incontournable, même pour Georgia Meloni. Mais il faut avoir un autre élément en tête, et il est crucial : que ce soit le PIS Polonais ou le parti de Georgia Meloni, ils sont de fervents soutiens à l’Ukraine. On les imagine très mal s’allier avec des partis proches de Vladimir Poutine comme le RN français ou le Fidesz hongrois. Donc il est probable qu’on reste dans une configuration parlementaire relativement similaire à celle qu’on a connu depuis 2019.
Et concernant la future Commission européenne, Ursula von der Leyen est-elle toujours favorite ?
Oui elle est clairement la favorite. Elle est la candidate du Parti populaire européen qui reste majoritaire aujourd’hui. Et elle est quasi assurée d’avoir le soutien de Renew et des socio-démocrates comme en 2019. Mais il y a toujours un risque, notamment si des groupes politiques s’allient pour soutenir un autre candidat. C’est d’ailleurs pour ça qu’elle avait indiqué, il y a quelques semaines, qu’elle n’était pas fermée à une alliance avec le groupe ECR mené par Georgia Meloni. Mais hier soir elle s’est ravisée en annonçant qu’il n’y aurait aucune alliance avec l’extrême droite. Donc dans les semaines qui viennent, on va assister à un grand marchandage entre partis politiques. Rien n’est encore fait. On se souvient qu’en 2019, cela avait été compliqué pour elle déjà, puisqu’elle n’avait que 9 voix d’avance, et une partie des députés du PPE n’avaient pas voté pour elle. Pour qu’elle conserve sa place, elle doit obtenir au moins 361 voix. Donc rien n’est encore fait et il faudra attendre juillet, voire septembre pour savoir si elle sera reconduite pour un second mandat.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron