Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.
En ce début d’année 2023, vous proposez de dresser un bilan de l’action de l’Union européenne en trois parties. Aujourd’hui, pouvez-vous nous dire quels sont selon vous les points marquants de l’année qui vient de s’écouler ?
2022 a été une année riche en événements, et je dirais même, en émotion, aussi bien pour les citoyens que pour les États et les institutions européennes. Les suites de la pandémie de Covid-19, ses conséquences économiques notamment, puis la guerre en Ukraine qui a éclaté et provoqué une grave crise géopolitique, couplée à une crise de l’énergie, tout ça, ça a mis en tension les institutions européennes qui ont dû s’adapter très vite et proposer des actions collectives pour faire face.
Il s’est passé beaucoup de choses en effet et beaucoup voit l’année 2022 comme une année charnière pour l’UE.
Oui et notamment parce qu’elle a induit des prises de conscience nouvelles, inédites. La plus importante sans doute : c’est que l’UE devait se résoudre à abandonner certains des dogmes qu’elle avait toujours considéré immuables, notamment celui de la libre concurrence (qui ne tient plus tout à fait face aux autres puissances qui, elles, ne jouent plus le jeu, et mettent en difficulté nos modèles économiques) ; et aussi celui du rôle géopolitique de l’UE qui était plus ou moins un tabou depuis le début de la construction européenne. Avec la crise sanitaire, la guerre en Ukraine, mais aussi la crise climatique, l’UE se rend enfin compte qu’elle ne peut plus rester en retrait, et qu’elle doit investir le champ politique tout autant que les champs économiques et normatifs.
Pour réaliser ce bilan, commençons par les crises que l’UE a dû gérer. Est-ce qu’on peut dresser un bilan positif de ses actions pour pallier les conséquences des crises, qu’elles soient sanitaires, politiques, énergétiques ou même économiques ?
Ce qu’on peut déjà dire, c’est qu’elle n’est pas restée inactive, loin de là. C’est probablement l’une des années les plus chargées pour les institutions européennes. Déjà, il a fallu mettre en œuvre le plan de relance et donc la redistribution des fonds européens. Et là, premier souci : le refus de la Pologne et de la Hongrie de se conformer aux règles de l’état de droit. Ce qui a conduit l’UE à conditionner la distribution des fonds du plan de relance à la promesse de réformes institutionnelles. Rien que ça, c’est une avancée. Mais avec l’urgence de la guerre en Ukraine, les institutions ont dû lâcher du lest : les Hongrois ont décidé de mettre leur véto au plan d’aide de 18 milliards d’euros en faveur de l’Ukraine et à l’impôt minimum mondial de 15 % sur les multinationales. Donc pour lever le véto hongrois, les États européens ont cédé et accepté de verser une partie des fonds. Mais on peut quand même saluer l’avancée que représente le principe de conditionnalité, même si là, en l’occurrence, l’urgence de la situation a conduit à l’adapter. Ce qui n’est pas une mauvaise chose en soi, d’autant qu’on accuse souvent l’UE d’être trop rigide. Là, elle montre qu’elle peut faire preuve de souplesse, surtout d’adaptabilité.
L’adaptabilité, c’est peut-être le maitre-mot de cette année pour les institutions. La crise énergétique a aussi été un moment crucial pour l’UE. Est-ce que selon vous, elle a su réagir et s’adapter suffisamment ?
Les solutions qu’elle a apportées n’ont pas tout réglé, ça c’est certain. Et les États ont pris des mesures individuelles pour aider les ménages et les entreprises à faire face à l’explosion des coûts de l’énergie et à l’inflation. La France a été l’un des États les plus généreux en la matière. Mais l’UE n’est pas restée inactive pour autant. La Commission a fait plusieurs propositions aux États et les négociations ont été assez vives pendant plusieurs semaines. Pour bien comprendre ces propositions, il faut se rappeler d’où on en était : le prix de gros de l'électricité sur le marché intérieur de l'UE est directement lié au prix du gaz, qui, lui, est principalement importé en Europe. Donc, avec l’embargo européen sur les importations russes, et le chantage au gaz exercé par Vladimir Poutine, les approvisionnements russes se sont quasiment arrêtés, ce qui a fait exploser les prix du gaz, et donc, par ricochet, les prix de l’électricité.
Qu’est-ce qu’ont fait les Européens pour en limiter les coûts ?
Dès le début de l’invasion de l’Ukraine, l’UE, en concertation avec les États, a adopté plusieurs mesures pour sécuriser les approvisionnements énergétiques : d’abord, via un règlement sur le stockage du gaz ; ensuite, le règlement sur la réduction de la demande de gaz (les États étaient appelés à réduire de 10 à 15 % leurs consommations) ; et enfin, l’UE a créé une plateforme d'achats communs d'énergie, sur le modèle de ce qu’elle avait fait pour les vaccins en 2020. Les États ont aussi passé des accords, avec l’aide de l’UE, avec d’autres pays exportateurs de gaz, notamment les États-Unis et la Norvège, pour diversifier les sources d'approvisionnement.
Et concernant le mécanisme de plafonnement des prix du gaz ? Il y a eu des débats houleux entre les États membres en décembre.
Oui et on peut dire qu’on est parvenu à un accord historique sur la forme – jamais on aurait cru que les États dits frugaux, du Nord de l’Europe, notamment l’Allemagne, accepteraient l’idée même d’un plafond des prix du marché – ; mais plutôt décevant sur le fond. Pourquoi ? Parce que le plafond a été fixé à 180 euros le mégawattheure, un prix que beaucoup estiment bien trop haut puisqu’il est très improbable que le marché atteigne un tel seuil. Que dit l’accord ? Concrètement, l’accord porte sur un mécanisme de correction des marchés qui sera activé dès que les prix observés sur le TTF (indice de référence européen) atteindront 180 euros par mégawattheure (MWh) durant trois jours consécutifs. Alors, 180 euros, c’est effectivement un seuil très élevé, d’autant qu’en plus du seuil il y a de nombreux garde-fous pour éviter que le mécanisme ne soit activé sur une période trop longue, mais c’est quand même beaucoup moins que la proposition qu’avait initialement faite la Commission et qui avait été très critiquée : elle avait proposé un plafond à 275 euros le mégawattheure. Donc ,dans un sens, les États sont allés bien plus loin. Et ça, c’est déjà un point marquant de l’accord.
Merci Joséphine Staron. On vous retrouve la semaine prochaine pour la seconde partie de votre bilan de l’année 2022 !
Entretien réalisé par Cécile Dauguet.