Toutes les deux semaines, retrouvez Romain Le Quiniou sur Euradio avec sa chronique Europe Puissance, qui parle des faiblesses européennes sans tabou pour mieux imaginer l’Europe stratégique de demain.
Romain Le Quiniou, vous êtes Directeur général d’Euro Créative, le think tank français sur l’Europe centrale et orientale.
Aujourd’hui vous vouliez nous parler de défense industrielle. Un accord qualifié d’historique entre la France et l’Ukraine vient d’être signé. Est-ce que vous pouvez nous en dire plus ?
Un accord historique, oui, on peut et on doit le dire.
C’est notamment l’achat de 100 Rafales qui a fait les gros titres. 100 Rafales, vous m’avez bien entendu. A titre de comparaison, la France dispose aujourd’hui d’un parc d’un peu plus de 200 avions de combats. Ce qui inclut également nos Mirages.
Dans le même temps, Dassault a produit à ce jour 300 Rafales et des centaines d’autres restent en commande.
Ce n’est donc pas pour demain, mais cette séquence reste bien historique. À Villacoublay, Emmanuel Macron et Volodymyr Zelensky ont signé une déclaration d’intention sur une coopération de défense projetée sur une décennie. Au delà des Rafales et de ses armements associés, on parle de systèmes de défense aérienne nouvelle génération type SAMP/T, de radars Thales dernier cri, de bombes propulsées type AASM Hammer, de missiles, de drones d’observation, d’attaques et d’interception et j’en passe.
Mais ce n’est pas un contrat ferme : c’est un cadre politique et industriel qui ouvre la voie à des contrats successifs. L’idée à terme étant de reconstituer une capacité de défense ukrainienne crédible, standardisée sur les systèmes militaires occidentaux et si possible européens.
Donc on parle d’un cap, pas de livraisons demain matin ?
Exactement Laurence, vous faites bien de le préciser.
Le Président français l’a dit : on parle ici du temps long.
Pour Kyiv, l’objectif est de chercher des garanties de sécurité crédibles face à Moscou après la guerre, de se protéger d’une nouvelle offensive en vérouillant une trajectoire de renforcement qualitatif et quantitatif sur dix ans.
Pour Paris, l’idée est d’assumer le rôle de fournisseur de sécurité européenne et de consolider sa coopération bilatérale avec l’Ukraine permettant la standardisation de l’armée ukrainienne à travail l’achat de matériel prédominemment européen. Une ambition française clairement affirmée.
Question cash : qui paie, et quand ? Ce fut notamment assez animé ces derniers jours dans le débat public à ce propos.
Oui on entend surtout tout et n’importe quoi. Mais on a l’habitude puisque certains ont intérêt à la confusion et aux mensonges sur ces sujets.
Cependant la question du financement est importante et reste effectivement à préciser.
Rassurez-vous, il y a plusieurs pistes.
Une partie peut être inclue dans les contributions françaises à la défense de l’Ukraine.
Mais c’est surtout à travers des solutions européennes que ce type de coopération pourra véritablement se matérialiser. Déjà il y a la possibilité de mobiliser les instruments européens fraichement établis tels que le mécanisme SAFE par exemple. Ensuite, il y a l’espoir de pouvoir enfin débloquer les avoirs gelés russes.
Peu importe les financements, l’injection de cash dans l’industrie de défense est nécessaire pour poursuivre la montée en cadence progressive de notre industrie de défense et garantir notre sécurité collective.
Et la France n’est pas seule sur le pont. D’autres modèles émergent, non ?
Absolument, l’effort est bien européen. Même si la France en tant que première puissance militaire au sein de l’UE a une responsabilité particulière.
Je voulais par exemple évoquer le “modèle danois” qui s’est révélé ces derniers mois. Le principe est simple: le gouvernement danois finance la production de matériel militaire directement en Ukraine. Gagnant-gagnant.
C’est rapide, peu bureaucratique et cela renforce l’industrie ukrainienne tout en développant les capacités de défense européennes.
D’autres pays mettent en place des co-entreprises pour la production sur place également, on entend parler de coalitions spécifiques sur différents segments.
On comprend enfin que la défense de l’Ukraine est primordiale pour la défense de l’Europe. Techniquement, cela impose une accélération de la production et l’ancrage de l’Ukraine dans les chaines de valeur de l’industrie de défense européenne. Autant pour le bénéfice de l’Ukraine que du nôtre.
Encore une illustration concrète de l’Europe puissance donc ?
Ce plan met en lumière l’importance de financer, de produire et d’opérer une puissance militaire durable pour faire face aux menaces.
Si nous voulons dissuader nos ennemis et protéger l’Europe, il faut nourrir notre industrie de défense européenne. Une industrie de défense continentale où le savoir faire français sera complété par les retours de terrain et l’innovation ukrainienne.
Avec cet effort cela permettra aussi une réindustrialisation de nos économies, des emplois et des crédits pour la recherche et l’innovation. Tout autant de segments importants pour notre Europe puissance.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.