Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.
Aujourd’hui, vous souhaitez revenir sur les résultats des élections européennes et sur la décision de la France de dissoudre l’Assemblée nationale. Selon vous, cette décision aura un impact sur l’influence de la France en Europe. Pouvez-vous déjà nous dire comment cette annonce a été accueillie en Europe ?
Si les citoyens Français ont été pour la grande majorité un peu sidérés par l’annonce du Président de la République, au soir des élections européennes, nos voisins l’ont été tout autant ! J’aimerais insister sur un point qui me parait essentiel : cette décision n’aura pas uniquement un impact sur la France et sa politique intérieure. Elle aura aussi un impact majeur sur l’influence de la France en Europe, et sur sa crédibilité politique vis-à-vis des autres États. Pour répondre à votre première question, les dirigeants européens ont été très surpris de l’annonce d’Emmanuel Macron de dissoudre. Pourquoi ? Et bien parce que les résultats du scrutin n’ont pas été aussi catastrophiques qu’on aurait pu le penser, au niveau européen j’entends. Si la droitisation du Continent se confirme, les équilibres politiques au sein du Parlement européen sont restés relativement inchangés. Les partis de la droite radicale ont progressé mais on n’a pas assisté au raz-de-marée que certains prophétisaient. Si le parti du Président français est arrivé en deuxième position, derrière le RN, la coalition du Chancelier Scholz a encore plus souffert du scrutin : le SPD est arrivé 3ème, loin derrière la CDU/CSU et même derrière l’AFD. Les Verts et Libéraux sont arrivés encore derrière. Pourtant, malgré cette défaite cinglante, le Chancelier n’a pas dissous le Bundestag. Alors pourquoi Emmanuel Macron a-t-il pris autant de risques et pourquoi si vite, une heure après que les résultats soient tombés ? C’est la question que se sont posés tous les dirigeants européens.
D’après vous, le Président aurait pu ne pas dissoudre, malgré les résultats électoraux ?
Les résultats des européennes n’ont pas été une surprise. Et le clan présidentiel est quand même arrivé deuxième, alors qu’on craignait qu’il ne se fasse devancer par les Socialistes. Il aurait donc très bien pu ne pas dissoudre, ou a minima différer la dissolution à la rentrée de septembre. Nous sommes à quelques semaines d’un évènement mondial, les Jeux Olympiques, et le monde entier aura les yeux rivés sur nous. Mais au lieu de parler de la France et de ses qualités, tout tournera autour de la composition et de l’entrée en fonction d’un nouveau gouvernement, qui plus est si c’est Jordan Bardella qui le dirige. Au-delà de l’image, il y a un vrai enjeu de sécurité. Comment assurer aux citoyens, aux millions de touristes étrangers, aux délégations officielles et aux athlètes que la France sera en mesure de les protéger efficacement ? Je ne dis pas que c’est impossible bien sûr, mais je dis simplement que c’est un gros risque assumé par le Président, alors qu’on aurait largement pu l’éviter, ou au moins le différer.
Quels risques sécuritaires est-ce que vous entrevoyez ?
Ils sont nombreux ! Déjà bien avant l’annonce de la dissolution et le chaos politique dans lequel on est plongé depuis 10 jours, le risque d’attentats pendant les JO était très élevé. Il ne va pas disparaitre en un coup de baguette de magique. Mais maintenant, il y a un risque supplémentaire : celui des émeutes, des manifestations, des troubles à l’ordre public qui risquent d’arriver si jamais le RN arrive à Matignon. Peut-être même que ces troubles auront lieu si le Président remporte quand même les législatives. Le pays est extrêmement tendu et il ne faut pas sous-estimer le choc, la brutalité qu’a été l’annonce de la dissolution. Pour une grande partie de la population française, qu’elle soit à l’extrême droite ou l’extrême gauche, ils voient ça comme une chance historique d’imposer leurs visions radicales des choses. Et la radicalité de droite comme de gauche va malheureusement souvent de pair avec la violence. Et enfin, un autre risque qui existait avant mais qui se voit renforcé : c’est le risque d’ingérence étrangère, notamment par la Russie. S’il y en a bien un qui doit être content du désordre national, c’est le Président russe. Le risque est grand que des puissances hostiles interfèrent dans les élections, manipulent les opinions, montent les Français les uns contre les autres et attisent la haine et la violence. On doit en avoir conscience.
Tous ces facteurs de chaos peuvent, selon vous, ternir l’image de la France et l’affaiblir sur le plan européen ?
Oui c’est certain. L’influence française en Europe ne se jouait pas tant au Parlement européen qu’au sein du Conseil, à travers la voix d’Emmanuel Macron lui-même, et au sein de la Commission, via Thierry Breton. Tous deux parvenaient à défendre et imposer une vision de l’Europe plus protectrice et à même de répondre aux défis internationaux. Demain, s’il y a une cohabitation, la France risque de perdre en influence. Déjà dans le choix du prochain Président de la Commission (même s’il y a peu d’alternatives à Ursula von der Leyen et qu’elle reste favorite), mais surtout dans la répartition des portefeuilles et le choix des tops jobs comme la Présidence du Conseil ou le choix du futur Haut-Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Et puis l’influence au Parlement va encore se réduire : au vu du score des LR qui n’envoient que 6 eurodéputés au PPE (groupe le plus influent), et de la dégringolade des députés Renaissance et Écologistes, la voix de la France au Parlement sera difficile à porter. Et si le cordon sanitaire qui existe autour du groupe ID dans lequel siègeront les 30 députés du Rassemblement national, se maintient, ces derniers auront un pouvoir d’action très limité. En somme, la situation politique intérieure qu’on est en train de vivre aura des conséquences lourdes et durables sur notre influence vers l’extérieur. C’est la défense des intérêts français qui est en jeu, rien de moins.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron