L'œil sur l'Europe - Joséphine Staron

A quand une vraie politique migratoire européenne ?

Pixabay A quand une vraie politique migratoire européenne ?
Pixabay

Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.

Aujourd’hui, vous souhaitez revenir sur la question épineuse de l’immigration en Europe et de l’Espace Schengen. La récente décision du chancelier Allemand de renforcer les contrôles aux frontières interroge sur l’avenir de l’espace Schengen. Qu’en pensez-vous ?

La décision d’Olaf Scholz a beaucoup surpris puisqu’il vient d’un courant politique plutôt très favorable à l’ouverture et à l’immigration. Donc il faut replacer cette décision dans le contexte allemand : l’AFD, le parti d’extrême droite, a remporté les dernières élection régionales et une succession d’affaires très médiatisées en lien avec l’immigration, ont conduit le Chancelier a prendre cette décision de manière unilatérale. On reste donc dans la tradition allemande des dernières années en quelque sorte : en 2015, Angela Merkel avait décidé d’ouvrir grand les frontières du pays, sans en discuter avec ses voisins européens.

Presque 10 ans plus tard, Olaf Scholz prend la décision inverse mais avec la même méthode : aucune concertation. Donc oui on peut légitimement dire qu’il y a un problème d’immigration en Europe, mais les méthodes employées par les États membres ne sont absolument pas de nature à les régler.

Concrètement, qu’est-ce que la décision allemande implique pour l’espace Schengen ?

Comme le prévoient les traités, les 29 pays membres de l’espace Schengen ont la possibilité de rétablir des contrôles aux frontières, de manière temporaire, pour faire face à une situation particulière qui menace l’ordre public et la sécurité. C’est donc tout à fait légal et les contrôles sont réinstaurés pour une durée de 6 mois renouvelables.

L’Allemagne n’est pas la seule à avoir pris cette décision.

Non. En tout, 8 États membres de l’espace Schengen ont déjà réinstauré des contrôles à certaines de leurs frontières : France, Italie, Danemark, Slovénie, Autriche, Norvège, Suède, et bien sur l’Allemagne. D’autres ont annoncé qu’ils allaient emprunter cette voie : la Belgique, les Pays-Bas, et le Luxembourg. Et ce n’est pas la première fois que ça arrive. Pendant la crise sanitaire les frontières intérieures avaient été rétablies. Elles le sont aussi souvent lors de grands évènements sportifs, notamment pendant les Jeux Olympiques.

Si ce n’est pas nouveau, pourquoi est-ce qu’on peut quand même y voir un danger, sur le long terme, pour l’espace Schengen ?

L’immigration est un sujet épineux partout en Europe. Avec la montée des droites radicales, ce sujet va continuer à prendre de l’ampleur et le risque c’est que chaque État décide dans son coin de sa politique d’ouverture ou de fermeture, et de sa politique d’intégration. C’est déjà le cas, et jusqu’à présent, ça n’a jamais porté ses fruits. La crise de 2015 l’a bien montré. Elle a été tellement violente qu’elle aurait très bien pu signer la fin de l’Union européenne. Or, aucune des solutions apportées par l’UE ou par les États n’a été véritablement utile pour endiguer les flux migratoires. Il n’y en a eu qu’une au final : c’est l’accord passé avec la Turquie en échange de millions d’Euros. Un chantage aux migrants en quelque sorte.

Mais combien de temps ca peut durer ?

Presque 10 ans après cette crise migratoire inédite, l’Europe n’est toujours pas prête. Elle ne s’est pas dotée d’outils suffisant pour gérer une potentielle nouvelle crise migratoire. Le nouveau Pacte Asile et Immigration est très insuffisant. Il est urgent de revoir la méthode.

Quelles sont les pistes avancées ?

Au niveau européen, le sujet de l’immigration est abordé de manière technique et administrative, alors qu’il s’agit d’un sujet hautement politique. Il y a plusieurs enjeux et le premier c’est la gouvernance. Ce n’est pas un Commissaire européen dédié qui peut gérer, seul, la question de l’immigration et de Schengen. Comme pour la zone Euro, il faut une gouvernance propre de l’espace Schengen. L’ancien Président français, Nicolas Sarkozy, plaidait récemment pour qu’un tel gouvernement soit composé des Ministres des Affaires Intérieures de chaque État membre de Schengen. C’est une piste à creuser. Parce que sans cela, les États vont tenter de reprendre la main, seuls, sur l’immigration, alors qu’ils n’en ont de toute façon pas les moyens. Il y a plusieurs questions à traiter et vite : comme celle des retours dans les pays d’origine pour les personnes qui ne remplissent pas les critères du droit d’asile ; le conditionnement des aides et des visas accordés aux pays de départ pour qu’ils luttent vraiment contre les réseaux de passeurs. Mais il y a aussi l’enjeu démographique et de la main d’œuvre. Là encore une question éminemment politique et existentielle : l’Europe doit être plus productive et plus compétitive ; or, son déclin démographique semble inévitable. Il y a une réflexion de fond, collective, qu’il faut mener pour répondre à ce défi historique.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.