Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.
Cette semaine, vous nous présentez la troisième et dernière partie de votre analyse des conséquences des élections européennes. Et vous souhaitez revenir sur le contenu du projet européen. La réélection d’Ursula von der Leyen semble marquer une continuité avec la mandature précédente. Pourtant, vous dites que les cinq prochaines années pourraient marquer une rupture avec le passé. Pourquoi ?
Déjà, il faut se souvenir que le premier mandat d’Ursula von der Leyen a connu trois phases : une première de septembre 2019 à mars 2020 (6 mois) marquée par des ambitions écologiques très fortes, avec l’annonce puis la déclinaison du Pacte Vert et des objectifs de décarbonation du continent européen. Ce projet avait été rendu possible par l’élection inédite de nombreux députés écologistes, un peu partout en Europe, et par le renforcement du groupe centriste, Renew, qui comptait beaucoup de partisans de la transition écologique dans des rangs. Dans son discours sur l’état de l’union en 2019 la nouvelle présidente de la Commission avait donc annoncé la couleur : son objectif principal serait d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Toutes les politiques et les mesures annoncées devait y contribuer. Puis, la crise sanitaire a frappé l’Europe et c’a été le premier coup de semonce pour la Commission.
Quels changements de politique ont été opérés en 2020 ?
Des changements majeurs. Le premier : la suspension du Pacte budgétaire européen et des règles de stabilité, les fameux critères de Maastricht qui fixait pour chaque État à 3 % maximum du PIB les déficits publics et à moins de 60 % la dette publique. Ces règles en vigueur depuis des années et chères aux yeux des conservateurs européens, majoritaires au Parlement, ont été suspendues par la Commission très rapidement, dès le début de la crise, pour permettre aux États de faire face aux conséquences du covid. Second changement radical : contre l’avis des Frugaux, et après avoir réussi à convaincre les Allemands, Ursula von der Leyen a proposé un plan de relance inédit, historique, à partir d’un emprunt commun au nom des 27. Ça aurait été totalement inimaginable quelques mois plus tôt. Enfin, la Commission a décidé qu’il était de sa responsabilité de gérer la crise sanitaire, à sa manière, même si la Santé ne faisait pas partie de ses compétences. On a donc eu un plan de production et d’achat communs de vaccins, assorti d’un plan de redistribution envers les états membres. Là encore, c’était inédit.
Ces changements que vous décrivez ont eu des conséquences durables puisqu’aujourd’hui encore le Pacte budgétaire n’a pas été rétabli dans sa version « pré-crise sanitaire ».
Oui, même si d’autres règles ont été introduites cette année. Mais rien d’aussi contraignant que les critères de Maastricht. La troisième phase du premier mandat d’Ursula von der Leyen intervient le 24 février 2022, lorsque la Russie envahit l’Ukraine. Les sanctions inédites décidées à l’encontre de la Russie par l’UE entrainent une crise énergétique d’une grande ampleur et conduisent à des changements de cap majeurs : notamment l’introduction de l’énergie nucléaire dans les énergies vertes, comme le demandait la France, au grand dam des Allemands. L’enjeu de l’Europe de la défense revient aussi sur la table très vite et, sous la pression de Thierry Breton, on rediscute au sein de la Commission du développement de l’industrie de défense européenne. Et on pourrait multiplier les exemples.
Aujourd’hui nous sommes donc dans la 4ème phase de transformation puisque la Présidente doit prendre en compte les changements intervenus au Parlement européen.
Oui. Et son discours du 18 juillet devant le Parlement européen en atteste puisqu’elle prend acte du changement d’époque : « Nous nous trouvons dans une période marquée par l'anxiété et l'incertitude profondes des Européens ». Pour convaincre les eurodéputés les plus conservateurs du PPE de la soutenir pour sa réélection, Ursula van der Leyen a présenté un projet davantage axé sur la compétitivité, la croissance, l’industrie et la défense. Elle l’affirme sans détour : « la prospérité et la compétitivité seront la première priorité ». En ce qui concerne le Pacte Vert, les objectifs fixés demeurent mais la Présidente ajoute qu’ils devront être atteint « de manière pragmatique, en respectant la neutralité technologique et en faisant preuve d’innovation ». Beaucoup attendait une prise de conscience des institutions européennes concernant l’environnement économique et géopolitique actuel. C’est semble-t-il chose faite : fini la naïveté et la croyance dans une mondialisation heureuse et une compétition libre et loyale. La Présidente a également eu un mot pour les PME, après avoir été souvent accusée de ne considérer que les très grandes entreprises, notamment dans le cadre de la règlementation type CSRD et CSDD. En matière de politique étrangère de l’Union, Ursula von der Leyen a répété ce qu’elle avait déjà dit à plusieurs reprises : un soutien renouvelé et sans faille à l’Ukraine ; un soutien à l’élargissement vers les Balkans occidentaux ; et un soutien d’une solution à deux États dans le cadre du conflit israélo-palestinien.
Elle a notamment annoncé plusieurs propositions concrètes.
Oui, et certaines sont assez innovantes et interpellent : comme la nomination d’un Vice-Président en charge de la simplification, un Commissaire en charge de la Méditerranée, ainsi qu’un Commissaire en charge du Logement (qui n’est pas une compétence de l’UE). Ou encore, le lancement d’un nouveau Plan pour l’Agriculture, alors que la dernière révision de la Politique agricole commune a été votée par le Parlement en avril dernier. Elle a aussi annoncé vouloir créer un nouveau Fonds européen pour la compétitivité et une Union européenne de l'épargne et des investissements, créer un marché unique de la défense et un nouveau Pacte pour une industrie propre, ou encore un Bouclier Européen de la Démocratie pour lutter contre les manipulations de l'information et les ingérences étrangères. La plupart des grands projets annoncés semblent donc s’inscrire dans une recherche de plus de souveraineté européenne – une idée chère à la France.
Un entretien réalisé par Laurent PÉTÉTIN.