L'œil sur l'Europe - Joséphine Staron

Visite d’Emmanuel Macron aux Pays-Bas : un rapprochement stratégique

Ludovic Marin - AFP Visite d’Emmanuel Macron aux Pays-Bas : un rapprochement stratégique
Ludovic Marin - AFP

La semaine dernière, le Président Français s’est rendu aux Pays-Bas pour rencontrer le Premier Ministre Mark Rutte. Selon vous c’était une visite stratégique, pourquoi ?

Déjà parce que ce n’est pas souvent qu’un Président Français réalise une visite d’État aux Pays-Bas. François Hollande s’y était rendu brièvement en 2014. Et avant lui, Jacques Chirac en 2000. Donc, c’était une visite stratégique pour plusieurs raisons. La première, parce qu’elle faisait suite au voyage d’Emmanuel Macron en Chine où il devait négocier de nouveaux accords commerciaux, à la fois bilatéraux et au niveau européen. Là encore, aux Pays-Bas, le volet économique et commercial était central dans la visite du Président. Il était à nouveau accompagné d'entreprises françaises pour signer des contrats avec des entreprises néerlandaises. Mais si ce voyage était très politique, c’est parce qu’il s’inscrit dans la stratégie de la France qui est de promouvoir une souveraineté ou une autonomie européenne forte et pour laquelle le Président Français a du mal à se faire entendre auprès des autres États membres.

Est-ce qu’on peut dire qu’aujourd’hui, la France a trouvé un nouvel allié pour défendre son concept d’autonomie stratégique européenne ?

En-tout-cas, les Pays-Bas ne sont plus aussi réticents qu’avant à l’idée d’une autonomie stratégique européenne. Ils y voient aussi leur intérêt. Mais historiquement, c’est un pays très libéral qui était très attaché aux valeurs du néolibéralisme, du libre-échange sans intervention de l’État, du commerce international sans réciprocité exigée, etc. Donc on peut dire qu’on partait de loin. D’autant que jusqu’à il y a peu, les Pays-Bas étaient un des piliers des États qu’on appelle les Frugaux au sein de l’Union européenne, avec l’Autriche, le Danemark et la Suède. Et ils rejetaient souvent par principe toute proposition qui pouvait conduire à un principe de préférence européenne ou qui impliquait des aides d’États, des subventions publiques, etc. Lorsqu’il a fallu négocier le plan de relance en 2020, suite à la crise sanitaire, les Frugaux étaient vent debout contre la proposition de la France et de l’Allemagne de souscrire un emprunt commun, au nom de l’Union européenne.

Et est-ce que ces divergences ont été surmontées ?

Il semble en tout cas qu’avec les Pays-Bas, ce soit en bonne voie. La coalition du Premier ministre Mark Rutte est moins libérale que par le passé et davantage pro-européenne. Il s’est d’ailleurs désolidarisé des positions des Frugaux à plusieurs reprises. Et Mark Rutte et Emmanuel Macron appartiennent au même groupe politique au niveau européen, Renew. Donc oui, il y a des pistes d’amélioration de la relation qui sont bien enclenchées. Et c’est stratégique aujourd’hui pour la France et la vision qu’elle porte de l’intégration européenne, de se rapprocher davantage des Pays-Bas.

Qu’est-ce qui est ressorti concrètement de cette visite d’État ?

Les Pays-Bas et la France ont signé un Pacte pour l’innovation et la croissance durable. L’objectif de cet accord bilatéral, c’est de favoriser la coopération dans les domaines de la numérisation, des technologies et de la durabilité industrielle. Avec ce Pacte, les deux pays viennent renforcer leurs liens économiques qui sont déjà importants : la France est le troisième client et la huitième fournisseur des Pays-Bas, et les Pays-Bas sont le septième fournisseur de la France. Concrètement, le Pacte pour l’innovation et la croissance durable vise une meilleure autonomie dans la production des semi-conducteurs, et dans le stockage durable de l’énergie. L’un des objectifs à court terme est d’ailleurs très concret : c’est de favoriser le rapprochement et la collaboration entre deux régions, Brainport aux Pays-Bas, et Grenoble en France autour justement de la production de semi-conducteurs. Tout ça, ça s’inscrit parfaitement dans la trajectoire de l’Union européenne vers un commerce durableet dans le plan industriel européen présenté récemment par Thierry Breton.

Mais les intérêts des Pays-Bas et de la France sont-ils vraiment les mêmes aujourd’hui ? Historiquement, les Néerlandais ont toujours été opposés à une forme de protectionnisme économique que le Président Français défend au niveau européen. Quels sont les obstacles qui subsistent aujourd’hui pour que la France puisse bénéficier du soutien des Pays-Bas dans sa vision de la souveraineté européenne ?

Il y a des obstacles, bien sûr. Les Pays-Bas ont toujours vu l’Union européenne comme un marché économique et l’opportunité de faire du business. C’est aussi simple que ça. Mais avec la nouvelle coalition de Mark Rutte, et du fait des conséquences de la crise sanitaire, de la guerre en Ukraine et de la crise énergétique, les Néerlandais commencent à évoluer dans le sens de la France. Mais de là à dire qu’on partage la même vision, non, loin de là. Ils étaient d’ailleurs opposés à la proposition française de créer un Fonds de souveraineté, et concernant les questions de défense, leur attachement à l’OTAN et leurs liens transatlantiques les placent aussi parfois en situation de désaccord avec la France. En revanche, sur certains points clé, les intérêts convergent.

Lesquels ?

Le nucléaire par exemple. Les Pays-Bas avaient renoncé à l’énergie nucléaire, mais, du fait de la crise, ils ont décidé de construire deux nouveaux réacteurs nucléaires. Ils font d’ailleurs partis des 13 États signataires d’un communiqué de presse conjoint publié le 28 mars dernier proposant la création d’un cadre industriel et financier européen favorable à l’énergie nucléaire. Donc la France est en train de former une coalition d’États membres pour défendre des intérêts communs et une vision commune. Finalement, c’est un peu ça l’idée de la construction européenne. Elle est fondée sur la nécessité du compromis autour des plus petits dénominateurs communs. Or, aujourd’hui, du fait des crises transnationales qui se juxtaposent, ces dénominateurs communs se multiplient et les intérêts convergent de plus en plus. En-tout-cas, plus rapidement que jamais.

Entretien réalisé par Laurence Aubron.