Cette semaine avec Jeanne Gohier, nous parlons de la biomasse, une source d’énergie dite renouvelable pour produire de l’électricité.
Qu’est-ce qu’on entend par biomasse, et comment est-ce qu’elle peut produire de l’électricité ?
La biomasse rassemble toutes les matières organiques qui peuvent se transformer en énergie. L’exemple le plus emblématique c’est le bois, que l’on utilise depuis des millénaires pour se chauffer, entre autres, mais il y a aussi la paille, les huiles végétales, ou les alcools produits à partir de végétaux. Sans parler des cadavres d’animaux !
Pour produire de l’énergie, on valorise la biomasse de différentes façons. D’abord par combustion, on peut créer de la chaleur et de l’électricité. Et puis nous en avions parlé dans une chronique précédente, par fermentation, la biomasse permet aussi de faire du biogaz : c’est la méthanisation.
Mais si on produit de l’électricité en brûlant de la matière végétale, on reproduit le schéma de la combustion d’énergies fossiles, pourquoi est-ce que c’est une source d’énergie que l’on dit durable ?
Vous avez tout à fait raison : en brûlant de la matière végétale, on libère du dioxyde de carbone et d’autres gaz à effet de serre. Pour que l’exploitation de la biomasse soit renouvelable, il faut regénérer au moins autant, voire plus de biomasse que ce que l’on a brûlé, pour compenser les émissions de gaz à effet de serre. Le moyen le plus simple, c’est de replanter la végétation qui va absorber le CO2 en poussant. Ce principe est dans la réalité complexe à mettre en œuvre : cela prend beaucoup plus de temps de faire pousser des arbres que de les brûler. On augmente les émissions à court terme, parce que l’absorption du carbone par les plantes prend des dizaines d’années.
Et si on arrive à compenser les émissions de gaz à effet de serre, est-ce que c’est une solution viable ?
La question reste complexe, notamment à cause des volumes nécessaires pour faire tourner une centrale à biomasse. Par exemple, la centrale de la Gardanne dans les Bouches-du-Rhône interpelle : c’est une ancienne centrale à charbon reconvertie en centrale à biomasse. A priori, très positif pour l’environnement. Mais il faut 450 000 tonnes de bois par an pour faire tourner la centrale à plein régime, alors que la récolte dans la région n’est que de 370 000 tonnes. Le producteur va donc devoir importer le bois, en majorité du Canada et d’Ukraine. Tout ceci a une empreinte carbone non négligeable ! Et puis il y a aussi la question de l’espace utilisé, qui est gigantesque si on veut valoriser la biomasse et satisfaire la demande énorme en énergie. D’autres sources d’énergie, comme les panneaux solaires par exemple, ont des rendements beaucoup plus élevés sur moins d’espace : 1 hectare de panneaux solaires vous donnera 15 fois plus d’énergie qu’un hectare d’arbres.
Est-ce que certains pays ont misé sur la valorisation de la biomasse pour produire de l’électricité ?
Oui, car la biomasse est très utile pour répondre aux pics de demande d’électricité en hiver tout en évitant d’avoir recours au charbon. Le Royaume-Uni mise beaucoup sur la biomasse pour remplacer le charbon dans son mix énergétique et atteindre la neutralité carbone en 2050. Le producteur d’électricité Drax Group a annoncé l’arrêt de la production d’électricité au charbon en le remplaçant par la biomasse. Dans l’Union européenne, la biomasse ne représente que 6% du mix électrique en 2020. L’UE a émis certaines règles que doivent respecter les producteurs d’électricités s’ils veulent que l’exploitation de la biomasse soit considérée comme durable, et obtenir des financements publics. L’électricité fonctionnant à la biomasse doit émettre 80% de gaz à effet de serre en moins que l’électricité produite au charbon, et les centrales doivent combiner la production d’électricité et de chaleur pour limiter les pertes d’énergie.
Pour conclure, est-ce que la biomasse est une filière dans laquelle il faut investir ?
La biomasse n’est pas nécessairement une bonne solution. C’est une partie de la solution si la réabsorption des émissions carbone est encadrée par la réglementation. Les investisseurs doivent engager avec les producteurs d’électricité pour déterminer les bonnes ou mauvaises pratiques sur l’utilisation de la biomasse : la provenance du bois pour éviter la déforestation, les volumes utilisés, le rendement énergétique… Selon les recommandations scientifiques, il faut surtout limiter notre consommation d’énergie respecter les objectifs fixés par les Accords de Paris !
Interview réalisée par Laurence Aubron
Jeanne Gohier est analyste sur la finance du climat chez Fideas Capital, qui propose aux Européens d’investir « Smart for Climate », c’est-à-dire de prendre en compte les enjeux du réchauffement climatique dans leurs placements.
Tous les éditos "Smart for Climate" de Jeanne Gohier sont à retrouver juste ici
Image par Yves Bernardi de Pixabay