Jeanne Gohier est analyste sur la finance du climat chez Fideas Capital, qui propose aux Européens d’investir « Smart for Climate », c’est-à-dire de prendre en compte les enjeux du réchauffement climatique dans leurs placements.
L’affaire du siècle était à la une des médias il y a quelques jours, l’Etat français a perdu une bataille juridique face à 4 associations environnementales. Que s’est-il passé exactement ?
Que s’est-il passé exactement Jeanne Gohier ?
L’Affaire du siècle remonte à 2 ans, lorsque 4 associations environnementales ont décidé de poursuivre l’Etat pour inaction climatique. Elles avaient d’ailleurs lancé une pétition signée par plus de 2 millions de personnes. J’y avais d’ailleurs participé !
Le 3 février dernier, le tribunal administratif a rendu un jugement « avant-dire droit », c’est-à-dire qu’il n’est pas définitif et encore incomplet. Il faudra attendre deux mois avant de connaître la totalité du jugement. Mais dans ce premier rendu, la justice reconnaît que l’Etat n’a pas respecté la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre qu’il s’était fixée.
Est-ce que c’est une victoire pour les associations écologistes ?
Oui et non. Oui parce que pour la première fois dans le pays l’Etat est reconnu coupable de n’avoir pas tenu des engagements qu’il avait pris sur le climat. Non, car le juge n’a pas donné raison aux associations sur tous les points. Il devait statuer sur deux questions : par le passé, l’Etat a-t-il respecté ses engagements pour le climat ? Le cas échéant, les 4 associations demandaient une réparation du préjudice moral et écologique subi. Une deuxième question : faut-il obliger l’Etat à agir pour qu’il tienne ses engagements dans le futur ?
Le juge a statué que l’Etat devait réparer le préjudice moral des 4 associations, mais il n’est que partiellement responsable pour le préjudice écologique et il ne devra pas le réparer. Le juge doit encore décider si l’Etat doit prendre des mesures pour se remettre sur la trajectoire qu’il s’est fixée.
On dirait quand même que les choses bougent pour le climat, les entreprises et les Etats commencent à subir une pression accrue...
Oui depuis les accords de Paris en 2015 la pression augmente, et l’affaire du siècle n’est pas la première défaite juridique d’un état. En 2019, l’Etat néerlandais a été reconnu coupable d’inaction envers le climat, et il lui est imposé de réduire ses émissions de carbone de 25% par rapport aux niveaux de 1990. Et ce n’est pas tout : l’association Client Earth regroupe des avocats et des experts scientifiques, et poursuit des entreprises et des Etats en justice pour inaction ou mise en danger du climat. Ils ont actuellement 169 procès en cours. Et il n’y a pas que du côté de la justice, les investisseurs forment aussi un gros point de pression.
Est-ce que les investisseurs peuvent eux aussi subir une pression légale ? Être poursuivis s’ils n’agissent pas en faveur du climat ?
Les investisseurs peuvent subir une pression légale, et celle-ci s’est d’ailleurs renforcée au cours des derniers mois dans l’Union européenne. La réglementation les oblige à être plus transparents sur les impacts de leurs investissements, notamment sur l’impact climatique. Mais les investisseurs peuvent aussi faire pression sur les entreprises, les états… et même sur d’autres acteurs de la finance ! Un exemple : Amundi, une grande entreprise française qui investit dans tous les marchés mondiaux, a menacé d’arrêter de financer une obligation verte émise par une banque publique indienne, car celle-ci envisageait de financer une mine de charbon en Australie.
Il faut désormais attendre les résultats de toutes ces actions…
Oui, car pour l’instant les émissions ne diminuent pas suffisamment et nous ne respectons pas encore la trajectoire fixée par l’accord de Paris…. Les investisseurs peuvent mettre de la pression sur les entreprises, surtout celles qui sont cotées en bourse. Cette pression peut être négative en vendant les titres des entreprises qui font peu d’efforts. Ou positives, en achetant les titres de celles qui jouent le jeu de la transition. On l’a vu, les associations environnementales exercent une pression sur les Etats et les entreprises… et utilisent, elles, des moyens légaux pour y parvenir, en plus de leurs actions militantes. A leur tour, les Etats peuvent aussi changer leurs réglementations pour ajouter une pression réglementaire sur tous les acteurs, notamment les entreprises et les investisseurs. Si la pression augmente de toutes parts les choses vont bouger. L’important est que chacun doit contribuer à la transition, et ne pas la subir !
Interview réalisée par Laurence Aubron
Tous les éditos "Smart for Climate" de Jeanne Gohier sont à retrouver juste ici
Image : L'Affaire du Siècle