Jeanne Gohier est analyste sur la finance du climat chez Fideas Capital, qui propose aux Européens d’investir « Smart for Climate », c’est-à-dire de prendre en compte les enjeux du réchauffement climatique dans leurs placements.
Cette semaine, Jeanne Gohier nous parle de l’empreinte carbone du bitcoin, la crypto-monnaie qui a la cote sur les marchés.
Peut-être pouvez-vous nous préciser le principe de cette monnaie électronique ?
Le bitcoin fait partie de la famille des crypto-monnaies. Contrairement aux monnaies scripturales comme l’euro ou le dollar, les crypto-monnaies n’utilisent pas le système bancaire pour être échangées, et elles ne sont pas régulées ni créées par les banques centrales. N’importe qui peut créer un portefeuille permettant de porter des bitcoins. Le système Bitcoin partage un livre comptable public qui s’appelle la blockchain. Les utilisateurs peuvent voir le montant de chaque transaction et de chaque portefeuille. En revanche les identités sont cryptées, donc les profils des utilisateurs sont anonymes. Chaque nouvel utilisateur reçoit une clé de validation secrète, appelée signature, qui permet d’identifier son compte.
Comment est assurée la sécurité du système ?
Par un processus complexe qui s’appelle le « minage par preuve de travail ». Les transactions en attente sont rassemblées dans un bloc qui doit être validé pour être ajouté au livre comptable, la blockchain. Pour valider un bloc, un utilisateur, ou un mineur, doit résoudre un problème difficile par un algorithme ; le premier qui arrive à le faire peut valider le bloc, les autres mineurs acceptent ce bloc après vérification du respect des règles. Le mineur qui a résolu le problème gagne un petit montant de bitcoins. Ce procédé est complexe, libre d’accès et très sécurisé, ce qui le rend quasiment impossible à frauder.
Le fonctionnement du bitcoin paraît technique et abstrait. Quels sont les avantages concrets de cette crypto-monnaie ?
Pour un investisseur, c’est un actif certes très risqué mais qui peut avoir du sens en termes de performance, si on a de la chance, et de diversification. Le comportement du bitcoin est très décorrélé de celui des actifs traditionnels comme les actions. Pour un particulier, c’est une monnaie à frais de transaction peu onéreux. Et on estime que le bitcoin compterait aujourd’hui une centaine de millions d’utilisateurs.
Y a-t-il des inconvénients ?
Oui évidemment. L’anonymat et l’absence de régulation attire les activités illicites comme le terrorisme ou les rançongiciels, même si la proportion des transactions servant à financer ces activités illicites est en baisse. Une partie des transactions restantes sert uniquement à la spéculation. Et puis historiquement, les variations de cours ont été violentes, ce qui ne joue pas en faveur d’un bitcoin comme monnaie tangible. Economiquement, les coûts de production d’un bitcoin sont très élevés. Ils peuvent varier selon les régions mais s’estiment en moyenne à $8000 pour un cours actuel de 48 000$.
Et vous parliez de l’empreinte carbone ?
Nous y venons ! Je reviens sur le protocole de validation des blocs, qui se fait par des algorithmes très développés. Les serveurs exécutant les calculs consomment une très grande quantité d’énergie, qu’on sous-estime probablement. De récentes estimations montrent qu’une transaction bitcoin nécessite 662 kWh, autant que pour 23 000 transactions Visa. L’ensemble du réseau bitcoin dans le monde consomme désormais plus de 16% de l’énergie consommée en France annuellement. Des pannes d’électricité en Iran ont récemment été attribuées au bitcoin.
Donc le bitcoin est gourmand en énergie, j’imagine qu’il pollue beaucoup ?
Exactement ! L’essentiel des serveurs est concentré en Chine où une partie significative de l’électricité est produite à partir de charbon, au Nord, une autre par des barrages hydro-électriques dans d’autres régions. Cela pèse sur l’empreinte carbone du système bitcoin qui est comparable à celle de la Nouvelle-Zélande : 37 Mt de CO2e. Et encore il faudrait ajouter l'empreinte écologique liée à la fabrication des ordinateurs ainsi employés.
Peut-on envisager des améliorations ?
La validation des blocs de transaction est très énergivore ; de nouvelles alternatives sont en projet pour éviter des calculs trop coûteux en énergie tout en maintenant une sécurité élevée pour les transactions.
En conclusion, alors que de plus en plus d’acteurs financiers se tournent vers les crypto-monnaies, gardons à l’esprit qu’en plus des inconvénients mentionnés, investir dans le bitcoin aujourd’hui augmente de façon importante l’empreinte carbone d’un portefeuille.
Interview réalisée par Laurence Aubron
Tous les éditos "Smart for Climate" de Jeanne Gohier sont à retrouver juste ici