Jeanne Gohier est analyste sur la finance du climat chez Fideas Capital, qui propose aux Européens d’investir « Smart for Climate », c’est-à-dire de prendre en compte les enjeux du réchauffement climatique dans leurs placements.
Cette semaine, Jeanne Gohier nous parle du charbon, qui a la réputation d’être la bête noire du climat. En France on ne l’utilise quasiment plus, pourquoi est-ce qu’on en parle encore ?
Si le charbon est très peu utilisé en France, il est toujours bien exploité dans d’autres pays ! C’est spectaculaire en Chine, qui a multiplié par 5 sa capacité de production d’électricité au charbon en 20 ans. Ce sont aujourd’hui les premiers consommateurs mondiaux de charbon.
Même au sein de l’Union européenne le charbon occupe une place importante dans le mix énergétique allemand et polonais. En 2019 l’Allemagne produisait 38% de son électricité à partir de charbon, source d’énergie qu’elle a préféré au nucléaire. En Pologne, le charbon génère même les ¾ de l’électricité. Mais la pression monte : en Pologne, le gouvernement a accepté d’annoncer une fermeture de toutes les centrales à charbon d’ici 2049, sous la pression populaire et parce que le secteur devient moins compétitif. Pourtant le charbon représente 80 000 emplois et est très lié à l’histoire du pays*.
Pourquoi le charbon est-il aujourd’hui considéré comme l’ennemi public numéro 1 du climat ?
l y a plusieurs éléments de réponse à cette question, d’ailleurs le charbon n’est pas seulement mauvais pour le climat, mais aussi pour la santé. L’extraction et l’exploitation du charbon représentaient 40% des émissions mondiales de gaz à effet de serre en 2018 . Environ 2/3 de ces émissions sont destinées à la production d’électricité, le reste à d’autres secteurs industriels, comme la sidérurgie ou la cimenterie. Utiliser du charbon pour produire de l’électricité est ce qu’il y a de pire pour les gaz à effet de serre, bien au-dessus du gaz naturel ou du nucléaire. Le charbon pollue aussi les nappes phréatiques, et l’exploitation de mines détruit des paysages entiers.
Mais le charbon représente aussi un gros risque humain : chaque année ce sont des milliers d’ouvriers morts dans des accidents de mines, notamment en Chine. Sans parler de toutes les maladies pulmonaires liées aux poussières respirées et aux particules fines.
Est-ce qu’on pourrait se passer du charbon aujourd’hui ?
J’aimerais vous répondre oui…. En ce qui concerne l’électricité, on peut en principe remplacer progressivement le charbon par d’autres sources d’énergie : par exemple au Royaume-Uni, la production d’électricité au charbon a diminué de 90% en 5 ans, et sera nulle d’ici 2025. Mais dans les pays nouvellement développés ou émergents comme la Chine ou l’Inde, le charbon reste une matière première peu coûteuse et facilement accessible. Pour cette raison la Chine continue de construire des centrales à charbon malgré son engagement à respecter les accords de Paris.
Et puis certains secteurs comme la sidérurgie ou la cimenterie sont encore très dépendants du charbon à coke. L’acier reste indispensable dans l’économie actuelle. Pour l’instant, il est compliqué de substituer le charbon dans la production. Des recherches sont en cours pour essayer de capter et réutiliser le CO2 qui s’échappe lors de la production d’acier : ce sont les techniques de capture et de stockage du CO2 dites « CCUS ».
Et pour le ciment ?
L’industrie du ciment représente 7% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. La fabrication du ciment libère du dioxyde de carbone lors de la transformation du calcaire, et lorsque l’on chauffe les fours. Le charbon est souvent utilisé comme source d’énergie car il permet de chauffer les fours à des températures extrêmes en très peu de temps : cela le rend peu substituable dans l’industrie actuellement.
Concrètement comment encourager la sortie du charbon ?
De manière générale, il faut un certain volontarisme sur ce sujet. Le rôle des investisseurs est important, et de gros investisseurs comme Axa, Crédit Agricole ou BlackRock ont commencé à vendre les titres de producteurs d’électricité utilisant du charbon de manière trop importante, typiquement pour plus de 15, 20 ou 25% de leur production. Cela concerne surtout la production d’électricité, mais pas la cimenterie ni la sidérurgie. La plupart des investisseurs à avoir fait le pas sont des européens et des américains, là où le charbon est substituable par d’autres sources moins carbonées. Arrêter d’investir dans le charbon thermique est aujourd’hui indispensable pour encourager la transition énergétique, et il faut que le mouvement soit vraiment très suivi !
Interview réalisée par Laurence Aubron
*Voir également cette émission d'A l'Est du nouveau!, La Pologne mauvaise élève de la lutte contre le réchauffement climatique en Europe ?
Tous les éditos "Smart for Climate" de Jeanne Gohier sont à retrouver juste ici
Image: Ben Scherjon