Cette semaine, Jeanne Gohier de Fideas Capital nous parle innovation technologique et réchauffement climatique. C’est une question qui divise beaucoup : l’innovation technologique peut-elle vraiment résoudre les enjeux du réchauffement climatique ?
C’est en tout cas ce que semble suggérer Bertrand Piccard, un entrepreneur suisse à l’origine du projet Solar Impulse, l’avion qui avait fait le tour du monde en volant uniquement grâce à l'énergie solaire. Il y a quelques semaines, il a affirmé avoir « 1000 solutions pour sauver la planète ». Il s’agit d’innovations technologiques, dans tous les domaines de la transition, qui ont un impact positif, et qui seraient rentables et commercialisables ; le but étant de rendre la transition écologique attractive pour les entreprises.
Est-ce que vous pouvez nous donner un ou deux exemples ?
Très volontiers ! Il existe un intrant de culture, qui a été développé par l’entreprise française Gaïago. Il permet de revitaliser le sol grâce à des prébiotiques. Cela améliore l’absorption d’eau de pluie, augmente la fertilité des sols et leur capacité à absorber le CO2 par la photosynthèse. Parmi les autres innovations, une entreprise américaine fabrique du gravier à partir de plastique non-recyclable. Ce gravier est utilisé dans l’industrie du béton, un secteur essentiel qui a bien besoin d’être soutenu sur le plan environnemental.
Ces innovations ont l’air formidable, mais est-ce que cela est suffisant pour protéger l’environnement ?
L’innovation technologique est une partie de la solution mais elle ne peut pas être considérée comme suffisante. Bertrand Piccard ajoute lui-même qu’il faut développer une « croissance qualitative » : un changement profond de nos habitudes de consommation et de production. Il faut créer de nouveaux modèles économiques dans les secteurs des énergies propres, de l’efficacité énergétique, ou de la production agricole durable par exemple. Cela va créer de l’emploi et de la croissance économique ; l’innovation technologique doit aider et accompagner ces évolutions.
Cette idée que la transition écologique puisse être compatible avec une nouvelle croissance économique n’est pas partagée par tous, certains prônent la décroissance ?
Oui, il existe d’autres courants de pensée, notamment la théorie de la décroissance économique, qui vise à réduire la production et la consommation en volume pour préserver l’environnement. Elle se fonde sur une hypothèse qui serait indépassable : la croissance économique restera toujours liée à l’exploitation massive de ressources naturelles et énergétiques, exploitation qui dégrade le climat. Dans cette perspective, une seule solution pour préserver l’environnement : diminuer la création de richesses, ce qui aboutit nécessairement à de la décroissance. Et d’ajouter : de toutes les manières, les ressources étant limitées, on y arrivera même si on ne le souhaite pas !
Ce sont donc deux visions diamétralement opposées ?
Elles partent toutefois d’un même constat : le modèle de croissance actuel n’est pas durable, car il suppose que les ressources naturelles de la planète sont illimitées. La théorie de la décroissance affirme que l’innovation technologique ne suffira pas à préserver l’environnement. A l’inverse, la théorie de la décroissance est critiquée parce qu’elle représenterait un sacrifice trop difficile ou trop violent à faire accepter à la société et aux entreprises. Il faut tout faire pour l’éviter en investissant à la fois dans la transition, ce qui comprend des changements dans nos modes de vie, et dans les innovations pour améliorer ce qui peut l’être.
Résumons-nous : dans quelle mesure est-ce que l’innovation technologique peut être bénéfique pour la transition.
L’innovation technologique représente un risque et une opportunité. D’abord une opportunité parce que les progrès qui ont été faits ces dernières années, sur le stockage de l’énergie, ou le développement de nouvelles énergies propres sont assez impressionnants et que cela présage de nouvelles avancées importantes dans les années à venir. Mais il y a aussi un risque, celui de croire au père Noël. L’enjeu du réchauffement climatique est beaucoup trop urgent et nous ne pouvons pas attendre la solution miracle. L’innovation technologique n’est pas le seul facteur de réussite de la transition : il faut accélérer sur tous les fronts, produire autrement, consommer autrement, investir dans ce qui est opérationnel aujourd’hui, et bien sûr continuer dans la direction qu’indique Bertrand Piccard, dans les 1000 solutions qu’il propose, pour les amener à la rentabilité et à la commercialisation !
Laurence Aubron - Jeanne Gohier
Jeanne Gohier est analyste sur la finance du climat chez Fideas Capital, qui propose aux Européens d’investir « Smart for Climate », c’est-à-dire de prendre en compte les enjeux du réchauffement climatique dans leurs placements.
Tous les éditos "Smart for Climate" de Jeanne Gohier sont à retrouver juste ici
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