Toutes les semaines, la chronique « L’Europe, le monde, la paix » donne la voix sur euradio à l’un·e des membres du collectif de chercheur·ses réuni·es dans UNIPAIX, le Centre d’Excellence Jean Monnet basé à Nantes Université.
Sabrina Robert, vous êtes juriste, professeure à Nantes Université, et vous vous intéressez au lien entre le changement climatique et la paix civile en Europe.
Oui, la paix n’est pas seulement l’absence de conflits ou de tensions entre les individus, les communautés, les Etats. La paix est plutôt une situation où le vivre ensemble n’est pas altéré par des menaces existentielles qui toucheraient à la sécurité alimentaire, la sécurité économique, la sécurité humaine ou encore la sécurité environnementale et climatique.
Et les changements climatiques menacent ce vivre ensemble.
Les changements climatiques sont une menace en eux-mêmes, avec toutes les conséquences environnementales, économiques et sociales qu’ils entrainent. Ils sont une menace pour l’ensemble des êtres humains, même si certaines populations plus vulnérables que d’autres doivent être protégées en priorité. Et ils sont aussi un agent multiplicateur d’autres menaces, de l’aggravation des inégalités entre les individus à l’attisement de violents conflits entre Etats.
Et malgré ces menaces grandissantes, les pouvoirs publics, aux niveaux local, national, régional comme l’UE et international, peinent à trouver les solutions d’adaptation et d’atténuation efficaces ou – du moins – n’ont pas encore fait le nécessaire pour que la civilisation humaine bascule dans une pleine conscience de cet état d’insécurité climatique.
Ce basculement ne pourra s’opérer qu’à la condition d’apporter des réponses claires à des nombreux questionnements fondamentaux qui entourent les profonds bouleversements politiques, juridiques, économiques et sociétaux qui doivent être faits pour maintenir la paix civile en Europe.
Quels sont ces questionnements ?
Je vais en retenir quatre.
Le premier : dans le contexte des changements climatiques, qui menace la paix civile ?
Ici, il n’y a pas d’ennemi ; il n’y a pas de délinquants, il n’y a même pas d’élément extérieur comme une catastrophe ou un accident. Non, les responsables de la menace, ce sont les comportements humains, l’ordre établi depuis le développement industriel de l’humanité. Aussi, il est nécessaire de réfléchir à un nouveau contrat social écologique, fondé sur de nouvelles valeurs (la solidarité, la sobriété, la justice environnementale) qui tiennent compte de la vulnérabilité de l’homme et de la planète, mais aussi de la responsabilité du premier à préserver la seconde.
La deuxième question qui se pose serait alors « la paix pour qui ? »
Absolument. Et la réponse, c’est d’abord pour l’être humain, bien sûr. Mais un être humain ré-ensauvagé qui retrouve sa place dans la Nature et non pas à côté d’elle ou contre elle.
Ensuite, pour l’être humain ici ou ailleurs puisque chaque communauté doit veiller à ce que ses actions ne portent pas atteinte aux droits et intérêts des autres communautés, dans une perspective de solidarité transfrontière.
Enfin, pour l’être humain maintenant et demain, puisque des réponses appropriées au changement climatique ne peuvent qu’avoir une dimension transgénérationnelle.
Troisième question : par qui cette paix peut-elle être instaurée ?
Ici, on est immédiatement tenté de répondre par l’Etat bien sûr, qui est le garant principal de la sécurité de chacun. Mais la complexité des enjeux liés au changement climatique exige des réponses multiniveaux. Il faut donc trouver les outils d’articulation entre les actions déployées à tous les niveaux d’intervention, du plus local au plus international. Autrement dit, il semble nécessaire de réinventer nos modèles de gouvernance, y compris à l’intérieur même de l’UE où règne une certaine confusion entre les nombreux centres d’impulsion de l’initiative publique et privée.
Quatrième question : la paix par quoi ? Par quels moyens ?
Bonne question ! Faut-il privilégier les politiques incitatives et les démarches volontaires ? Ou au contraire recourir davantage à la contrainte réglementaire ? Faut-il sanctuariser les libertés individuelles ou au contraire se préparer à d’importants renoncements ?
Les réponses sont loin d’être évidentes. Mais ce qui est certain, c’est que des réponses légitimes et acceptables ne pourront être apportées qu’à condition d’un processus de démocratie environnementale renforcé où la formation, l’inclusion et la participation permettront à chacun de dessiner les contours d’une paix civile durable en Europe.
La paix civile est précieuse. Mais pour la préserver sous la menace des changements climatiques, il faut se poser les bonnes questions.
Merci beaucoup, Sabrina Robert, de nous avoir sensibilisés à ce lien entre changement climatique et paix civile. Je rappelle que vous êtes professeure de droit à Nantes Université.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.