Chaque semaine, Marie-Sixte Imbert, consultante en affaires publiques et relations européennes, Senior Fellow de l'Institut Open Diplomacy, décrypte sur euradio les relations franco-allemandes et la politique intérieure de l'Allemagne.
2022 a été très tendue pour les relations franco-allemandes. Le soixantième anniversaire du traité de l’Elysée le 22 janvier 2023 a certes permis de les réchauffer, mais la visite d’Etat du président Emmanuel Macron prévue début juillet a dû être reportée en raison des émeutes en France. En cette rentrée 2023, comment vont les relations franco-allemandes ?
« L’Allemagne et la France sont les meilleures amies du monde mais il nous arrive de nous chamailler comme un vieux couple ». Ce n’est pas moi qui le dit, c’était Annalena Baerbock, la ministre fédérale des Affaires étrangères, dans Ouest-France début septembre. Cela résume bien la situation : Paris et Berlin sont des partenaires très proches sinon privilégiés, pour bien des raisons, mais la relation s’est effilochée ou à tout le moins complexifiée ces dernières années.
Dans un sondage franco-germano-italien début juillet 2023 de l’Institut de Ludwigsburg, une large majorité considérait qu’une coopération étroite entre France et Allemagne était décisive pour l’avenir : 76 % des Allemands, et 63 % des Français. Mais l’intérêt mutuel a reculé : seuls 36 % des Français s’intéressaient un peu ou beaucoup à l’Allemagne, contre 52 % en 2018 - l’intérêt en Allemagne pour la France reste néanmoins plus important, avec 54 %. La coopération bilatérale est peut-être devenue plus de raison que de cœur - mais quel que soit son fondement, elle reste forte, bien réelle, à tous les niveaux et dans tous les domaines.
Pourquoi de telles tensions entre Paris et Berlin ces derniers mois ?
Les tensions de l’automne 2022, qui n’étaient pas nouvelles mais ont bénéficié d’une attention nouvelle, ont rappelé les difficultés bien réelles à coopérer quand on a une histoire, une culture politique, économique, des intérêts parfois, souvent divers. Ces tensions se sont apaisées à l’occasion des 60 ans du traité de l’Elysée, avec des cérémonies et de nombreux déplacements ministériels de part et d’autre.
Ces tensions ont aussi rappelé l’importance de l’écoute et du dialogue : nous sommes certes différents, mais dans le même bateau, sinon unis par des valeurs et ambitions communes. Avant la visite d’Etat programmée début juillet, l’attention était d’ailleurs revenue sur les points d’achoppement, qui sont nombreux : cette visite aurait pu constituer une plateforme de dialogue politique incomparable pour les aborder.
Vous parliez de “pierres d’achoppement” entre France et Allemagne : quelles sont-elles ?
Nos pays font d’une part face aux conséquences de la Covid-19 et de la guerre en Ukraine : déstabilisation des chaînes de valeur, bouleversements énergétiques, inflation et tensions sociales… Sans compter les tensions politiques, et pour l’Allemagne, grande puissance exportatrice, les menaces que peuvent représenter l’évolution des relations avec l’immense marché qu’est la Chine.
Avec des modèles si différents, il n’est pas étonnant que les sujets de crispation soient nombreux. La France veut relancer sa filière nucléaire et la défendre à Bruxelles, alors que Berlin n’entend pas rouvrir ses centrales ; la réforme des règles budgétaires européennes ravive les tensions, alors que les libéraux de la coalition allemande tiennent au sérieux budgétaire ; l’Allemagne s’inquiète des relations avec la Chine avec l’enquête lancée par la Commission européenne sur les voitures électriques, que la France a soutenue ; sans compter les risques de compétition entre Etats pour accueillir des industries et des usines… Si la France est parfois vue comme hautaine, l’Allemagne prend le risque depuis le printemps 2023 de s’isoler sur la scène européenne, en y important les difficultés nationales de sa coalition : sur l'automobile, les normes d’émissions, les carburants synthétiques… La liste pourrait encore être allongée.
Comment s’incarne concrètement la coopération franco-allemande aujourd’hui ?
Dans les entreprises, les jumelages, les échanges linguistiques, culturels… Des projets concrets initiés par le traité d’Aix-la-Chapelle en 2019, un certain nombre ont vu le jour, comme le Fonds citoyen franco-allemand, ou le Forum d’avenir franco-allemand, mais on manque de résultats marquants et visibles, d’incarnation de la coopération. L’OFAJ, Airbus, Arte, ce sont de très bons exemples mais déjà quelque peu anciens, alors que le champ des possibles - et des nécessaires - est immense.
Mais cette coopération rappelle également l’importance d’un cadre plus large, celui de la construction européenne. Un exemple : le groupe de travail bilatéral sur les réformes institutionnelles de l’UE, composé de chercheurs, a rendu son rapport en septembre 2023 en pleine réflexion sur l’élargissement et sa préparation. Nous en reparlerons.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.