Les relations franco-allemandes - Marie-Sixte Imbert

75e anniversaire de la Loi fondamentale en Allemagne

© Christian Wiediger sur Unsplash 75e anniversaire de la Loi fondamentale en Allemagne
© Christian Wiediger sur Unsplash

Chaque semaine sur euradio, Marie-Sixte Imbert, consultante en affaires publiques et relations européennes, Senior Fellow de l'Institut Open Diplomacy, décrypte les relations franco-allemandes et la politique intérieure de l'Allemagne.

En 2024, l’Allemagne vient de fêter le 75e anniversaire de sa Loi fondamentale. De quoi s’agit-il ?

Cette Loi fondamentale, cette “Grundgesetz”, c’est l’équivalent de notre Constitution. Le texte a d’abord été provisoire : il a été adopté le 8 mai 1949 par la République fédérale, à l'Ouest, pour ne pas marquer dans le marbre la partition de l’Allemagne. En 1990, la RFA n’a pourtant pas disparu, mais elle a intégré les territoires de la RDA : la Loi fondamentale est ainsi devenue la constitution de toute l’Allemagne. Il y a bien eu quelques modifications - dont la suppression de la possibilité d’intégrer de nouveaux territoires, ce qui a fixé définitivement la frontière orientale à la ligne Oder-Neisse. Mais le texte a perduré, et le nom de “Loi fondamentale” est resté.

Que représente ce texte en Allemagne ?

La Loi fondamentale fonde l’État, fait partie de l’identité et constitue un véritable lieu de mémoire. Il représente la renaissance de l’Allemagne en tant qu’Etat démocratique, respectueux des libertés publiques et des droits fondamentaux. En 1949, il a permis d’écrire une nouvelle page, en tirant les enseignements de la République de Weimar comme de la période nazie, tout en reprenant un héritage plus lointain. Un exemple : le fédéralisme, avec un rôle fort dévolu aux Länder, l’équivalent d’une certaine manière de nos régions.

C’est pourquoi, chaque année, on célèbre son anniversaire d’une manière sans doute beaucoup plus appuyée qu’en France pour la Constitution de 1958.

La Loi fondamentale fait partie de l’identité, dites-vous : on parle parfois de patriotisme constitutionnel en Allemagne.

Oui, c’est une forme particulière de reconnaissance et d’appréciation de ce texte comme fondement de l’Etat. Le terme de patriotisme pose problème en Allemagne depuis 1945 : il n’est plus possible de le fonder sur l’idée de nation ou de peuple, mais il se fonde sur des valeurs politiques, et s’incarne dans un texte juridique fondamental qui promeut les libertés et droits fondamentaux, la démocratie, l’État de droit, l’État social.

C’est d’ailleurs un texte qui a beaucoup moins évolué que notre Constitution : la France accepte beaucoup plus volontiers des adaptations, des évolutions - et d’aucuns appellent même à fonder une sixième République.

Quel est le rôle du Tribunal constitutionnel ?

En Allemagne, où le droit a été foulé aux pieds par le régime nazi, le droit et la loi pèsent d’un poids tout particulier. Et le Tribunal constitutionnel de Karlsruhe, chargé de vérifier le respect de la Loi fondamentale, a largement contribué à la stabilité et au respect que ce texte inspire. Le Tribunal vérifie le respect des droits fondamentaux, la séparation des pouvoirs et règle les éventuels contentieux entre les Länder et l’échelon fédéral. La soumission à la règle de droit est un principe majeur.

Et si les regards sont souvent plus critiques à l’Est sur le fonctionnement de la démocratie, la Loi fondamentale rassemble toute l’Allemagne.

Pourquoi est-il question de modifier les textes qui régissent ce Tribunal constitutionnel ?

Parce que ce sont de “simples” lois. Le Ministre fédéral de la Justice Marco Buschmann a proposé de les intégrer à la Loi fondamentale pour rendre plus difficile leur modification. C’était dans le contexte des grandes manifestations contre l’extrême-droite et ses projets d’expulsion massive, en janvier-février 2024. Il est aujourd’hui peu probable de voir l’extrême-droite de l’AfD, l’Alternative für Deutschland, arriver au pouvoir, mais l’inquiétude est grande face à la propagation des idées anti-démocratiques.

Le 23 mai 2024, Marco Buschmann déclarait au Rheinische Post espérer pouvoir proposer une initiative concrète d’ici l’été, et aboutir d’ici fin 2024 - en amont de la campagne fédérale de septembre 2025. 

Ce 75e anniversaire de la Loi fondamentale intervient donc dans un contexte très particulier. 

Oui, face aux inquiétudes pour la démocratie, aux attaques et violences contre des responsables politiques de tous bords, à quelques semaines des élections européennes du 9 juin 2024, et des régionales de septembre dans le Brandebourg, la Thuringe et la Saxe.

C’est à Berlin que les célébrations du 75e anniversaire de la Loi fondamentale ont eu lieu, avec trois jours de célébrations ouvertes au grand public à partir du 23 mai, jour anniversaire de l’entrée en vigueur du texte - avec notamment la participation, le 26 mai 2024, du Président Emmanuel Macron, lors de sa visite d’Etat en Allemagne.

En conclusion, citons l’appel commun lancé par les ministres-présidents des 16 Länder et de nombreuses personnalités, à un “été de la démocratie” : “C'est maintenant le moment pour tous les démocrates d'envoyer un signal visible et durable”, “Les adversaires de la démocratie, de l'intérieur comme de l'extérieur, n'ont aucune chance ici“.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron