Les relations franco-allemandes - Marie-Sixte Imbert

Allemagne, France : croissances en berne

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Chaque semaine sur euradio, Marie-Sixte Imbert, consultante en affaires publiques et relations européennes, Senior Fellow de l'Institut Open Diplomacy, décrypte les relations franco-allemandes et la politique intérieure de l'Allemagne.

Le 27 mars 2024, les instituts de conjoncture allemands ont abaissé leur prévision de croissance pour le pays en 2024, de 1,3 % à 0,1 %. Après une fin d’année 2023 en récession, quelle est la situation en Allemagne ?

La situation économique reste inquiétante au sein de la première économie européenne, et la croissance en 2024 sera encore moins bonne que prévu. Or Berlin a déjà connu une récession en 2023, avec - 0,3 %. L’inflation a certes fini par ralentir, à 5,9 %, mais les difficultés ont été grandes, entre des prix élevés, des difficultés de financement face aux taux d’intérêt élevés, et la faiblesse à la fois de la consommation et des exportations.

C’est notamment l’industrie, au cœur de l’économie allemande, qui a marqué le pas, plus que les services : l’activité industrielle a ralenti de 1,5 % par rapport à 2022. Et la production n’a toujours pas retrouvé son niveau pré-pandémie de la Covid-19 : elle lui a été inférieure de plus de 9 %. Les raisons sont multiples, structurelles et conjoncturelles : prix élevés de l’énergie, faiblesse des exportations, pénurie de main-d’œuvre notamment qualifiée…

En revanche, en 2024, l’inflation devrait continuer à ralentir, et les salaires réels continuer à augmenter, soutenant ainsi la consommation. Ces augmentations de salaires sont en partie dues aux nombreux conflits sociaux et aux négociations de salaires - et plus largement sur les conditions de travail - que l’Allemagne a connus ces derniers mois.

Face à ces difficultés économiques, qu’entend faire le gouvernement de coalition ?

Je ne vais pas vous surprendre : la question divise, encore et toujours, la coalition ! Augmenter les dépenses budgétaires fédérales pour soutenir l’économie, et notamment l’industrie, les Verts du Ministre de l'Economie et de la Protection du Climat Robert Habeck y sont favorables. Tandis que le Ministre des Finances, Président des libéraux du FDP, Christian Lindner s’y oppose fermement. En toile de fond, la question d’une réforme, ou non, de la règle constitutionnelle du “Schuldenbremse”, le frein à la dette, qui limite à 0,35 % du PIB la capacité d’endettement du pays par an. Cette disposition avait été levée face à la crise de la Covid-19, et Christian Lindner avait dû accepter à nouveau qu’elle le soit en 2023 face aux difficultés budgétaires.

Pouvez-vous nous préciser ?

Oui, le Tribunal constitutionnel fédéral a décidé en novembre 2023 d’annuler la réaffectation de 60 milliards d’euros de crédits destinés à la lutte contre la pandémie, vers le soutien à l’industrie et aux investissements verts. Ce qui a conduit à rouvrir les négociations sur les budgets 2023 et 2024. Cette décision du Tribunal constitutionnel a rappelé le cadre très étroit des règles budgétaires, et restreint les marges d’action du gouvernement.

Dans un contexte différent, la France connaît-elle des difficultés proches de celles de l’Allemagne, avec une croissance en berne, et des difficultés budgétaires ?

Sans doute, avec une prévision de croissance à 0,8 % annoncée par la Banque de France le 12 mars 2024, ou un dérapage du déficit à 5,5 % du PIB en 2023.

En revanche, le niveau d’endettement n’est pas du tout le même : plus de 110 % en France, près de 65 % en Allemagne. En France, l’exécutif cherche à faire des économies budgétaires d’ampleur en 2024 comme en 2025, et la question de l’augmentation des impôts de manière ciblée se pose au sein de la majorité. En revanche, une question est sans doute commune : à quoi sert la dépense publique ?

Pour rebondir, l’Allemagne a récemment proposé une réforme de son système de retraites. Est-elle comparable à celle que la France a adoptée au printemps 2023 ?

Les enjeux sont sans doute assez similaires, face au vieillissement de la population et à la baisse du nombre d’actifs. En Allemagne, à situation inchangée, il faudrait abaisser de 48 % à 45 % le taux de remplacement des retraites par rapport au salaire, pour une personne ayant cotisé pendant 45 ans.

Néanmoins, les contextes politiques, économiques, sociaux diffèrent. Et la réponse proposée par le gouvernement est différente. En France, c’est notamment le recul progressif de l’âge de départ, de 62 à 64 ans, et de la durée d’assurance qui a été acté. En Allemagne, le gouvernement propose quant à lui d’introduire un fonds spécial, appelé "capital générationnel" : il serait investi sur les marchés financiers et participerait au financement des pensions de retraite. Par ailleurs, les cotisations seraient augmentées, pour la première fois depuis 2018. Le but est donc de maintenir le niveau des retraites, sans toucher à l’âge légal de départ. La réforme devrait être examinée par les députés d’ici l’été 2024.

Entretien réalisé par Laurence Aubron.