Chaque semaine sur euradio, Marie-Sixte Imbert, consultante en affaires publiques et relations européennes, Senior Fellow de l'Institut Open Diplomacy, décrypte les relations franco-allemandes et la politique intérieure de l'Allemagne.
Du 14 au 16 avril 2024, le Chancelier allemand, Olaf Scholz, passe trois jours entiers d’une visite délicate en Chine. Juste avant, le 12 avril, Olaf Scholz et Emmanuel Macron ont appelé à un “rééquilibrage” des relations commerciales avec la Chine. De quoi s’agit-il ?
Le contexte immédiat de cette visite est bien sûr délicat, en pleine guerre en Ukraine et en pleine attaque de drones par l’Iran contre Israël le 14 avril - Olaf Scholz était déjà dans son avion lorsque l’attaque a été déclenchée. Le 12 avril, le Président français et le Chancelier allemand ont rappelé leur “soutien indéfectible” à l’Ukraine, mais se sont aussi penchés sur les enjeux commerciaux.
Les critiques sont en effet nombreuses, depuis plusieurs années, contre les pratiques commerciales de Pékin. Le pays est accusé de limiter la possibilité des entreprises européennes d’entrer sur son marché, et de fausser les règles du marché européen en subventionnant de manière considérable les produits de ses propres entreprises. Des enquêtes européennes sont d’ailleurs en cours sur les voitures électriques, ou sur les éoliennes et les panneaux solaires.
Le gouvernement allemand avait pourtant annoncé s’engager dans une stratégie de “de-risking” vis-à-vis de la Chine. Où en est-on ?
C’était en juillet 2023, avec la publication - longtemps attendue - de la “China-Strategie”, la “Stragégie à l’égard de la Chine” du gouvernement fédéral. Elle faisait suite à la boussole stratégique de l’Union européenne, qui désignait en mars 2022 la Chine comme "un partenaire commercial, un concurrent et un rival systémique".
Cette stratégie allemande vise non pas à découpler, mais à réduire progressivement le risque relatif lié à la dépendance envers la Chine. On s’éloigne ainsi du “Wandeln durch handeln”, du changement par le commerce, longtemps prôné par le gouvernement fédéral. Cette question de la dépendance envers la Chine est notamment importante pour l’Allemagne par rapport à la France - qui est plus allante en matière d’autonomie et d’indépendance, mais aussi moins exposée. L’économie allemande repose en effet beaucoup sur ses exportations, et la Chine en absorbe une grande part.
Pourquoi un tel changement de stratégie ?
Le constat est simple : “La Chine a changé” - elle est “plus répressive à l’intérieur et plus offensive à l’extérieur” - “et cela nous oblige à reconsidérer nos relations avec elle”. Avec la volonté soulignée par la Ministre des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, de ne pas répéter l’erreur commise face aux importations énergétiques russes, mise en lumière par l’invasion russe en Ukraine en 2022.
Où en sont les relations commerciales entre Pékin et Berlin ?
Les difficultés économiques chinoises post-Covid-19 contribuent aux difficultés économiques allemandes, mais la Chine reste le principal partenaire commercial de Berlin. En 2022, selon l’agence allemande pour le commerce extérieur, Germany Trade and Invest, la valeur des marchandises importées de Chine a augmenté de 37 % - même si l’augmentation des exportations allemandes n’a été que de 3,7 %. Selon le cabinet Rhodium Group, les exportations allemandes vers la Chine ont augmenté de 136 % entre 2009 et 2021, et elles représentent le double de celles cumulées de la France, du Royaume-Uni et de l’Italie. Et les investissements directs allemands en Chine ont atteint la somme record de 12 milliards d’euros en 2023.
Revenons donc à ce voyage d’Olaf Scholz en Chine. En quoi illustre-t-il cette nouvelle stratégie ?
Ce voyage s’inscrit à un moment particulier, on en a parlé, mais il semble plus s’inscrire dans une logique de coopération. Sur la forme, c'est assez long, avec trois jours entiers sur place. Et la délégation du chancelier est fournie : on y compte notamment les ministres des transports, de l’agriculture et de l’environnement, et des chefs d’entreprise comme ceux de Siemens, de Bayer, de Mercedes, de BMW ou ThyssenKrupp. Sur le fond, Olaf Scholz est peut-être moins offensif sur les droits de l’homme par exemple qu’Angela Merkel.
Les critiques sont-elles nombreuses ?
Oui, parmi l’ensemble du spectre politique. Le 12 avril, Die Welt, un des trois plus grands journaux allemands, conservateur, s'inquiétait de la “stratégie d’asservissement” de Berlin alors que le Chancelier fédéral venait de s’inscrire sur le réseau social chinois TikTok.
Au-delà de ce qui pourrait être une anecdote, la question est bien celle du caractère d’adversaire ou de partenaire de la Chine pour l’Allemagne, de la profondeur des liens notamment économiques entre les deux, et de la nécessité de maintenir des relations assez étroites avec une puissance majeure sur la scène internationale - et proche de la Russie.
Enfin, en creux, Olaf Scholz n’a pas - ou pas encore - acquis le même leadership international que l’ancienne Chancelière.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.