Chaque semaine sur euradio, Marie-Sixte Imbert, consultante en affaires publiques et relations européennes, Senior Fellow de l'Institut Open Diplomacy, décrypte les relations franco-allemandes et la politique intérieure de l'Allemagne.
Les élections européennes auront lieu le 9 juin 2024. La campagne commence doucement à prendre de l’ampleur en France : qu’en est-il en Allemagne ?
C’est un sujet important, avec des partis qui ont commencé à se mobiliser dès l’été 2023. Mais beaucoup de choses ont eu lieu depuis qui ont contribué à changer la donne : les tensions politiques continues au sein de la coalition, la polémique sur l’interdiction des chaudières à gaz, les tensions budgétaires ou les manifestations des agriculteurs, sans compter les manifestations contre l’extrême-droite et ses projets d’expulsion massive cet hiver. Et difficile de ne pas penser aux nombreux échos en Allemagne de l’actualité, européenne et internationale.
Dans ce contexte, la campagne s’avère-t-elle d’ores et déjà différente de celle de 2019 ?
Oui, certainement : en 2019, les questions environnementales et climatiques ont été au cœur de la campagne, dans le contexte des mobilisations et manifestations notamment des jeunes pour le climat. Les partis verts avaient d’ailleurs obtenu de bons résultats, y compris en Allemagne.
En 2024, la presse parle parfois, carrément, de “Klima-Müdigkeit”, de “fatigue climatique” : le sujet n’est pas abandonné, mais il est relativement moins présent dans le débat public, par rapport aux questions géopolitiques face à la guerre en Ukraine et aux relations avec les Etats-Unis ou la Chine, aux questions économiques alors que l’Allemagne a connu une récession en 2023, aux questions d’infrastructures, à la crise des transports ou du logement.
Pourquoi un tel changement entre 2019 et 2024 ?
La réponse est multiple, et différente selon les États membres. En Allemagne, le modèle même du pays est remis en question, et la question de sa transition énergétique et environnementale reste en grande partie ouverte.
Sans compter que la coalition au pouvoir connaît une grande impopularité, et que les Verts en paient particulièrement le prix - alors que, paradoxalement, ils ont effectué un véritable tournant en matière de défense, de soutien à l’Ukraine ou d’énergie, avec par exemple les importations de gaz naturel liquéfié. Avec 14 % d’intentions de vote, les Verts se trouvent dans les sondages au niveau des dernières élections fédérales de 2021, mais reculeraient nettement par rapport à 2019.
Par ailleurs, les mouvements en faveur du climat ont sans doute perdu de leur influence. “Letzte Generation”, la “dernière génération” n’a pas capitalisé sur les manifestations “Fridays for Future”, avec des interrogations face à la radicalisation d’une partie de ces mouvements.
Quelle est la situation des différents partis deux mois avant le vote ?
La CDU/CSU, la droite chrétienne-démocrate, ferait à peu près jeu égal, entre 29 % en 2019 et 31 % dans les sondages. Il faut ici mentionner Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, “Spitzenkandidatin” du PPE, le Parti populaire européen. Selon un sondage ARD début mars, 53 % des Allemands étaient mécontents de son bilan, contre 36 % satisfaits.
Pour ce qui concerne la coalition au pouvoir, on parlait des Verts - deuxièmes en 2019, ils seraient désormais quatrièmes. Le SPD, les sociaux-démocrates, se maintiendrait à environ 15,5 - 16 % des intentions de vote. Les libéraux du FDP reculeraient de 5,5 % à 4 % des intentions de vote - il faut au moins 5 % des voix pour entrer au Bundestag, mais cette règle ne s’applique pas pour les européennes.
Et outre les Verts, une différence majeure concerne l’AfD : le parti d’extrême-droite ferait un bond de 11 % à 17 %, et arriverait deuxième.
Voilà pour les principales listes. Comme en France, les élections européennes mobilisent-elles de très nombreux partis ?
Oui, en 2019, six partis allemands sans élu national ou régional avaient obtenu des sièges au Parlement européen - le plus petit score obtenu était 0,7 % des voix. Et je ne vous ai pas parlé de Die Linke qui avait obtenu, en 2019, 5,5 % des voix : depuis, le parti d’extrême-gauche connaît une crise majeure - il a perdu son groupe parlementaire au Bundestag, et Sahra Wagenknecht a créé en janvier 2024 un nouveau parti en vue des trois élections régionales de septembre.
Pour revenir aux européennes, parmi les nombreuses listes en lice, on peut citer celle du parti DAVA, l’Alliance démocratique pour la diversité et l’éveil. Ce parti cherche à mobiliser les 1,3 million de citoyens allemands issus de l’immigration turque - et est très critiqué pour son affiliation à l’AKP, le parti du président turc Recep Tayyip Erdoğan.
Pour la première fois en Allemagne, lors des européennes du 9 juin 2024, les jeunes de 16 à 18 ans pourront voter. Cette nouvelle donne marque-t-elle un changement dans la campagne ?
Difficile à dire pour le moment, rendez-vous après le 9 juin !
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.