Les relations franco-allemandes - Marie-Sixte Imbert

Élections européennes : une campagne moins active en Allemagne qu’en France ?

© European Union Élections européennes : une campagne moins active en Allemagne qu’en France ?
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Chaque semaine sur euradio, Marie-Sixte Imbert, consultante en affaires publiques et relations européennes, Senior Fellow de l'Institut Open Diplomacy, décrypte les relations franco-allemandes et la politique intérieure de l'Allemagne.

Nous nous étions penchées il y a un mois sur la campagne des élections européennes du 9 juin 2024. La campagne commençait doucement en France et en Allemagne : a-t-elle pris de l’ampleur depuis ?

Oui et non. Les principaux partis en Allemagne ont tous leurs candidats, leurs programmes, et les ont souvent eu plus tôt qu’en France. Mais la campagne patine un peu, et les enjeux européens ne sont pas toujours abordés directement. Pourtant, sur l’Ukraine, la défense, la sécurité, l’immigration, le climat, des sujets présents dans le débat public et politique, l’Europe a toute sa place. Le sujet des élections européennes est peut-être un peu plus présent dans les médias français qu’allemands - ce n’est pas souvent le cas.

Avec une difficulté supplémentaire pour la coalition au pouvoir en Allemagne : chacun de ses trois partis fait campagne de manière indépendante, alors que la “majorité présidentielle” française agit unie.

Comment évolue l’opinion publique en France et en Allemagne sur ces questions européennes ?

Les Français ont une image plus négative de l’Europe : 41 % considèrent que l'appartenance de leur pays à l’Union européenne est une bonne chose, contre 54 % des Allemands, selon une étude en mars 2024 du think- et do-tank Destin commun. Et 37 % des Français considèrent que l’UE a un impact négatif sur leur vie personnelle (c’est 10 points de plus en 2 ans), contre 28 % des Allemands.

On a donc grosso modo un écart, important, de 10 points.

Oui, avec deux nuances à cette défiance côté français. Cette désaffection, minoritaire, est en grande partie alimentée par la méconnaissance du fonctionnement de l’UE et de ses politiques. Les deux-tiers des Français estiment ainsi ne pas en avoir une vision claire, contre moins de la moitié, 42 %, des Allemands. De là à souligner que décidément l’UE a un fonctionnement relativement plus proche du fonctionnement fédéral allemand, que de celui semi-présidentiel et centralisé français, il n’y a qu’un pas. De là à en conclure que pour les pro-Européens, il y a un enjeu majeur d’explication et de communication, il n’y a aussi qu’un pas.

Méconnaissance en premier lieu : quel est le second facteur pour nuancer la désaffection française envers l’UE ?

C’est le caractère pragmatique de l’appartenance européenne. Les eurobaromètres, des études qui concernent toute l’Union européenne, ont ainsi montré une augmentation des opinions positives envers l’UE à la suite de l’invasion russe en Ukraine en 2022. Pour revenir à l’étude de Destin commun de mars 2024, 67 % des Français considèrent qu’une UE forte est nécessaire pour concurrencer d’autres puissances mondiales comme la Chine et les Etats-Unis. Et les exemples concrets mentionnés de ce qu’apporte l’Europe, ce sont l’harmonisation des câbles USB-C, le roaming pour les téléphones, la carte européenne d’assurance maladie…

J’ajoute deux chiffres intéressants : 8 Français sur 10 sont favorables à la réindustrialisation de l’Europe. Et 6 sur 10 à ce que l’UE joue un rôle de premier plan dans la transition écologique, considérant qu’un leadership européen sur les questions climatiques les rendrait fiers d’être européens.

En France, on n’entend plus parler de Frexit. En revanche l’AfD, le parti d’extrême-droite a fait parler d’elle, parmi bien d’autres sujets de tensions, en janvier 2024 sur le Dexit. Où en est-on ?

En France, environ 30 % des personnes sont favorables à une sortie de l’UE selon Destin commun. C’est surtout parmi les électeurs du RN que ce chiffre est élevé : 56 %. L'attachement à l’appartenance est plus fort en Allemagne. Dans un sondage en janvier 2024 de la Fondation Konrad Adenauer, une très large majorité, 87 %, la soutenait - et même un peu plus de la moitié des partisans de l’AfD, 52 %.

L’AfD a fait campagne en 2021, lors des dernières élections fédérales, pour une dissolution contrôlée de l’UE. Dans son manifeste 2024, le parti considère l’UE comme un “projet raté” et “irréformable” - Alice Weidel, la présidente du groupe AfD au Bundestag, a même repris mi-janvier 2024 l’idée d’une sortie unilatérale de l’UE via un référendum. Or un tel référendum serait illégal. Et c’était aussi une manœuvre politique pour essayer de détourner l’attention des projets d’expulsion massive révélés juste avant.  

La situation est-elle comparable à celle de la France ?

Oui dans la mesure où l’on constate une désaffection forte vis-à-vis de l’UE à l’extrême-gauche, LFI en France, ou Die Linke en voie de disparition ou la nouvelle “Alliance Sarah Wagenknecht” (BSW) en Allemagne, comme à l’extrême-droite, RN et Reconquête ou AfD.

Mais non dans la mesure où, en France, le RN n’est plus favorable à la sortie de l’UE, et a beaucoup atténué son discours. Si le RN s’appuie sur une stratégie assumée de “normalisation”, l’AfD est en bien loin - ce qui explique en grande partie la distance que Marine Le Pen a tâché de prendre avec l’AfD depuis janvier 2024.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.