Les relations franco-allemandes - Marie-Sixte Imbert

3 octobre jour de l'unité allemande - Marie Sixte Imbert

3 octobre jour de l'unité allemande - Marie Sixte Imbert

Ce 3 octobre était un jour férié en Allemagne. Pourquoi le 3 octobre est-il jour de fête nationale pour notre voisin ?

Il faut revenir au 3 octobre 1990, lorsque la RDA a adhéré à la RFA, la République fédérale d’Allemagne - ou plutôt lorsque la RDA a adhéré au champ d’application de la Loi fondamentale de la RFA. “Réunification”, unification des deux Allemagne, c’était aussi de facto un élargissement européen. Depuis, le 3 octobre est la journée de l’unité allemande.

Quelles formes prennent les célébrations de cette Journée de l’unité en Allemagne ?

Elles ont une particularité surprenante vue de France : les grandes célébrations n’ont pas lieu à Berlin, mais chaque année dans une ville différente. La Journée de l’unité, ce sont en fait un jour férié, et trois jours de fête populaire. En 2022, c’est à Erfurt, la capitale de la Thuringe, dans le centre-est et l’ancienne RDA. Avec une devise : “zusammen wachsen” - “fusionner”, “converger”.

Le 3 octobre représente donc un véritable tournant en Allemagne. Qu’est-ce qui a changé à l’échelle du pays ?

Ce fut bien sûr en RDA la fin d’un régime autoritaire, et entre les deux Allemagne d’une séparation politique, économique, culturelle, mais aussi physique qui a été entretenue et renforcée pendant des décennies. Une division incarnée par Berlin, justement redevenue la capitale fédérale. De manière générale, la transition a été très rapide, mais a demandé de réorganiser des pans entiers de l’action collective.

Dans une perspective plus historique et juridique, le 3 octobre a été précédé par le 2, et le départ des derniers contingents militaires des puissances vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale. Et le 3 octobre a marqué la fin d’une question qui avait empoisonné les relations germano-polonaises pendant des décennies. La Loi fédérale de la RFA incluait la possibilité d’une extension géographique. Cette possibilité a été supprimée lors de la révision de 1990 : la frontière est définitivement fixée à la ligne Oder-Neisse.

Pour les Allemands, qu’est-ce que cette réunification a pu représenter comme changements concrets ?

En RDA, la réunification a été un changement profond, à commencer de pays. Des libertés nouvelles, un fonctionnement démocratique, la fin d’un mode de vie façonné par l’Etat et le parti, d’une économie planifiée, un tournant géopolitique vers l’Ouest après des décennies de liens privilégiés avec l’Est.

Des bouleversements profonds qui ont pu alimenter les tensions. Les anciens Länder de l’Est ont été parfois tentés par la nostalgie, l’”Ostalgie”, et le sentiment d’être considérés comme des citoyens de seconde zone. De l’autre côté, les anciens Länder de l’Ouest sont parfois critiques face à l’ampleur des investissements qui ont été nécessaires pour intégrer l’Est et organiser un véritable rattrapage. Les Allemands de l’Est ont pris la responsabilité sociale de la réunification, ceux de l’Ouest sa charge financière.

32 ans après, où en sont les relations entre l’Est et l’Ouest de l’Allemagne ?

Le travail fait pour favoriser le rapprochement et la convergence est immense, et inédit. Cela n’a pas été sans difficultés, politiques comme économiques ou sociales, avec une récession et un fort taux de chômage au début des années 1990, sans compter le difficile travail de mémoire face au passé de la RDA.

D’un point de vue économique maintenant, le rattrapage a été considérable. Par rapport à l’Ouest, les performances économiques de l’Est sont passées de 43 % en 1990 à 79,1 % en 2019. En 2001, le taux de chômage à l’Est était de 17,3 % et de 7,2 % à l’Ouest, contre 7,3 % et 5,6 % en 2020. L’écart reste, mais il est beaucoup plus faible. Avec des enjeux pour le tissu économique : la plupart des grandes entreprises allemandes ont leur siège à l’Ouest, tandis que les entreprises sont de plus petite taille à l’Est. D’un point de vue démographique, la population à l’Est est plus âgée tandis que le taux de fécondité ou le niveau de vie sont plus faibles.

Nous parlions de ce “jour de l’unité” : est-ce que 32 ans plus tard, le rapport à la politique a pu converger entre les deux Allemagne ?

Les perceptions diffèrent encore - y compris parmi les jeunes, qui n’ont pas connu la division. Dans un sondage de 2021, les jeunes de 15 à 24 ans étaient plus attentifs au réchauffement climatique à l’Ouest (62 %) qu’à l’Est (56 %), mais à la violence et la criminalité à l’Est (61 %) qu’à l’Ouest (53 %).

D’un point de vue politique, les regards sont souvent plus critiques à l’Est sur le fonctionnement de la démocratie : selon le rapport annuel du gouvernement fédéral sur l’état de l’Unité allemande en 2021, la démocratie était considérée comme la meilleure forme d’État par 91 % à l’Ouest, contre 78 % à l’Est. Et la proportion de personnes qui ne sont pas satisfaites du système politique de la RFA augmente.

Des chiffres à mettre en regard avec le fait que les mobilisations anti- vaccins contre la Covid en 2021 ont particulièrement rassemblé sur ce point à l’est de l’Allemagne, et le fait que les bastions électoraux de l’AfD, Alternative für Deutschland, l’extrême-droite allemande, sont à l’Est.

La réunification, c’est un mouvement absolument inédit de convergence. A travers bien des aspects, il a porté ses fruits, et une génération entière a grandi sans connaître la division.

Entretien réalisé par Laurence Aubron