Tous les mardis sur euradio, la spécialiste en affaires européennes et relations franco-allemandes Marie-Sixte Imbert analyse et décrypte les derniers événements et enjeux des relations franco-allemandes.
La victoire de l’opposition pro-européenne en Pologne, lors des législatives du 15 octobre 2023, pourrait contribuer à améliorer les relations entre Berlin et Varsovie. Avant tout, comment ont évolué ces relations depuis la chute du Mur, l’intégration de la RDA au sein de l’Allemagne de l’Ouest en 1990, et celle de la Pologne à l’Union européenne en 2004 ?
Ces relations ont longtemps été mauvaises, empoisonnées par l’héritage de la Seconde Guerre mondiale, et la question des frontières à l’Est de l’Allemagne. Cette dernière n’a pu être résolue qu’en 1990 : la République fédérale d’Allemagne, une fois l’intégration des Länder de l’Est actée, a supprimé de sa Loi fondamentale la possibilité d’intégrer de nouveaux territoires. Autrement dit, la frontière germano-polonaise a alors été définitivement fixée à la ligne Oder-Neisse. Dans la foulée, en 1991, le triangle de Weimar, espace de dialogue trilatéral entre la France, l’Allemagne et la Pologne, a permis à ces deux pays de renouer des discussions politiques sur le modèle de la réconciliation franco-allemande.
Les années 1990 et 2000 ont ensuite été marquées par une coopération parfois difficile, mais bien réelle. La Pologne a rejoint l’Union européenne en 2004, avec des réformes de fond faites, mais une réelle différence socio-économique avec ses voisins occidentaux, dont l’Allemagne. On se rappelle de la crainte en France du dumping social avec l’image du “plombier polonais”.
Le retour au pouvoir du PiS en Pologne en 2015 a-t-il changé la donne en matière de relations germano-polonaises ?
Elle ne les a certes pas facilitées. Le parti Droit et Justice, conservateur et eurosceptique, a assumé des désaccords politiques forts avec ses partenaires européens, par exemple en matière d’Etat de droit. Et a proné une politique nationaliste appuyée sur la réactivation de contentieux historiques, et des divergences géostratégiques.
En parlant de contentieux historiques, vous pensez notamment à la question des réparations ?
Oui, Berlin considère que sa responsabilité historique est bien réelle dans les horreurs de la Seconde Guerre mondiale, mais que la Pologne a renoncé à des réparations en 1953, et l’a confirmé à plusieurs reprises, notamment à la fin de la Guerre froide. Berlin a d’ailleurs fait une réponse similaire à la Grèce dans les années 2010. Quant au PiS, il a réactivé un serpent de mer dès 2017, et adressé une demande formelle de 1 300 milliards d’euros en 2022, soutenue par une résolution de la Diète en avril 2023. Pour le PiS, la question était à la fois historique, idéologique et électoraliste. Au-delà de cette question des réparations, il peut y avoir le sentiment, en Pologne, d’un retard dans la réconciliation bilatérale par rapport à l’exemple franco-allemand, et un sentiment de dévalorisation en Europe - alors même que les échanges germano-polonais se sont paradoxalement accrus ces dernières années. La campagne des législatives polonaises a été marquée par un acmé de la rhétorique germanophobe et eurosceptique - l’un allant d’ailleurs souvent avec l’autre à travers l’Europe.
Vous parliez également de “divergences géostratégiques” : la guerre en Ukraine a-t-elle modifié la donne pour les relations germano-polonaises ?
Elle a remis sur le devant de la scène ce qui est sans doute le principal contentieux entre Berlin et Varsovie, le rapport à la Russie, avec des conséquences paradoxales. A l’aune de la “Zeitenwende”, le fameux “changement d’époque” du Chancelier Olaf Scholz, l’Allemagne a acté la fin de la primauté de l’économie sur le politique, a repensé ses liens avec la Russie, a réduit voire abandonné ses importations énergétiques russes bon marché, a réinvesti dans sa défense et entamé la modernisation de son armée, ce qui lui permet de participer de manière plus active à la défense de l’OTAN. Berlin s’est donc rapproché de Varsovie.
En revanche, pour la Pologne comme d’autres pays d’Europe de l’Est, est-ce un changement circonstanciel de la part de Berlin, face à la guerre et en attendant le moment de renouer les liens avec la Russie, ou un changement structurel ? La défiance était grande, les réactions envers l’Allemagne à l’hiver 2022 lors de l’invasion russe de l’Ukraine l’a montré, et elle ne s’est pas dissipée pleinement.
Relations avec la Russie, rapports divergents à l’histoire… les contentieux sont nombreux, et profonds.
Ils sont nombreux, portent sur des éléments essentiels, et on pourrait ajouter également la question environnementale et économique avec la crise des poissons morts dans l’Oder en 2022, ou la question migratoire - la Pologne s’est opposée fermement au pacte migratoire européen, aux relocalisations de migrants, tandis que l’Allemagne est confrontée à la montée en puissance du parti d’extrême-droite AfD notamment sur cette thématique de l’immigration.
Mais s’ils sont nombreux, le départ du pouvoir du PiS devrait apaiser les discours - pour le correspondant à Berlin du Monde, Thomas Wieder, “l’horizon s’est éclairci”. D’autant qu’il ne faut pas oublier l’existence d’espaces de dialogue institutionnalisés pour favoriser la coopération, comme le triangle de Weimar, aux niveaux gouvernemental et parlementaire, ou le poids des échanges économiques bilatéraux, des échanges linguistiques et culturels.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.