Tous les mardis sur euradio, la spécialiste en affaires européennes et relations franco-allemandes Marie-Sixte Imbert analyse et décrypte les derniers événements et enjeux des relations franco-allemandes.
Nous nous retrouvons pour une troisième saison de cette chronique franco-allemande. En juin 2023, nous avions laissé une Allemagne confirmant le tournant du “changement d’époque” de février 2022, mais en proie à des difficultés grandissantes. Qu’en est-il en cette rentrée ?
Le pays reste la première puissance économique européenne, et un moteur de la coopération. Berlin entend assumer des responsabilités géopolitiques plus grandes depuis l’invasion russe en Ukraine, se rapproche des Etats-Unis, réduit sa dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie, veut repenser sa relation avec la Chine.
Mais le diable se niche dans les détails : si le pays souhaite réduire sa dépendance relative envers la Chine, il reste très dépendant des exportations vers cet immense marché où ses entreprises sont très présentes, des machines-outils à l’automobile.
Au surplus, les difficultés économiques sont réelles : le pays est en récession, ce qui pèse sur ses partenaires, l’inflation reste élevée - sans compter des difficultés plus structurelles, avec le manque de modernisation des infrastructures, ou la pénurie de main-d’œuvre qualifiée. En juillet 2023, 53 % des décideur•euses interrogé•es pour la FAZ et Magazine Capital estimaient que l’Allemagne avait atteint son zénith et était menacée par un déclin économique.
Le Spiegel titrait en septembre 2023 sur “la France, l’Allemagne en mieux”. Quelle réponse politique apporte la coalition fédérale au pouvoir à ces interrogations et ces doutes ?
Les choses avancent, sur la transition énergétique, la décarbonation des bâtiments, l’allocation citoyenne, l’immigration ou la nationalité. Mi-septembre 2023, la Fondation Bertelsmann a d’ailleurs souligné qu’à mi-mandat, les deux-tiers des engagements du contrat de coalition ont été mis en œuvre ou sont en cours. Les priorités du projet de budget pour 2024 sont la cohésion sociale, la sécurité et la défense, la transition écologique.
Mais si l’Allemagne est le pays des compromis, cela reste difficile. L'insatisfaction est grande : en août 2023, environ 80 % des Allemand•es n’étaient pas satisfait•es de l'action fédérale. Les querelles et blocages au sein de la coalition restent nombreux, entre les sociaux-démocrates du Chancelier Olaf Scholz, les Verts du Vice-Chancelier, Ministre de l’Economie et de l’Environnement Robert Habeck, et les libéraux du Ministre des Finances Christian Lindner. Selon un sondage yougov, fin août 2023, les Verts étaient considérés comme les premiers responsables des querelles à répétition au sein du gouvernement pour 40 % des sondés, les libéraux pour 23 %, et le SPD pour 10 %.
Comment se portent les oppositions ? Profitent-elles de ces difficultés de la coalition au pouvoir ?
Étonnamment, le centre-droit de la CDU/CSU, pourtant premier parti d’opposition, ne profite pas de cette impopularité. La CDU a certes mis à jour son programme, mais elle a encore accumulé les polémiques cet été sur la question de la coopération avec l’extrême-droite de l'AfD, et son leader ne perce pas.
C’est bien plutôt l’AfD qui a le vent en poupe : avec, mi-septembre 2023, 22 % des suffrages potentiels. Et vous en avez certainement entendu parler, l’AfD a depuis juin 2023 remporté un mandat exécutif local, dans le district de Sonneberg, dans le centre du pays, malgré les appels au “cordon sanitaire”. C’est une première - même si cela ne représente que 0,13 % du territoire et 0,08 % du corps électoral. Mais un sondage choc a été publié fin août, avec 35 % des suffrages pour l’AfD lors des prochaines élections en Saxe, six points au-dessus de la CDU - une coalition régionale sans l’AfD serait alors quasiment impossible.
Quant à l’extrême-gauche de Die Linke, la question récurrente ces derniers temps est celle de la mort du parti.
Dans ce contexte de tensions politiques, comment Berlin pourra-t-il continuer à agir alors que s’ouvrent de nombreuses séquences électorales ?
C’est un point majeur. Pour en dresser la liste, des élections régionales auront lieu en octobre 2023 en Hesse et en Bavière - avec une polémique sur fond d’antisémitisme au sein de la coalition au pouvoir entre la CSU et les Electeurs libres, les Freie Wähler, coalition que la droite espère reformer. C’est ensuite la campagne des européennes qui va commencer cet automne et durer jusqu’au 9 juin 2024. Des élections vont suivre dans le Brandebourg en septembre, et en Saxe et en Thuringe. Sans compter la campagne fédérale pour 2025 qui devrait démarrer dès l’automne 2024.
Le risque est que cette longue séquence complique voire bloque le dialogue et l’élaboration d’un consensus en Allemagne, entre France et Allemagne comme entre Européens. Or sur la transition écologique, sur le nucléaire, sur les règles budgétaires, sur la défense, nous avons besoin d'avancer.
Pour conclure, une citation de la ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock dans Ouest-France début septembre : « L’Allemagne et la France sont les meilleures amies du monde mais il nous arrive de nous chamailler comme un vieux couple ».