Les relations franco-allemandes - Marie-Sixte Imbert

L'Allemagne une rentrée sur les charbons ardents - Marie Sixte Imbert

L'Allemagne une rentrée sur les charbons ardents - Marie Sixte Imbert

Après la pause estivale, nous reprenons l’analyse des relations franco-allemandes pour une saison 2. Avec au menu une Allemagne qui s’interroge sur son modèle et son avenir.

Nous nous étions quittés fin juin sur un pays engagé dans des mutations profondes, géopolitiques, politiques comme économiques, environnementales ou industrielles. Des mutations qui demandent du temps : elles sont toujours à l'œuvre en cette rentrée.

Une page avait été tournée avec l’arrivée au pouvoir fédéral en décembre 2021 d’une coalition inédite. Une coalition avec trois partis, les sociaux-démocrates du SPD, les Verts et les libéraux du FDP. Et pour la première fois depuis 2005, sans les chrétiens-conservateurs de la CDU-CSU. Mais ce qui a cristallisé beaucoup d’évolutions, c’est bien l’invasion russe de l’Ukraine le 24 février 2022 et ses conséquences.

L’Allemagne, première puissance économique européenne, est attachée (et parfois même critiquée) à promouvoir en premier lieu ses intérêts économiques sur la scène internationale et européenne.

Disons-le d’emblée, les menaces économiques sont mondiales - mais elles pèsent particulièrement sur l’Allemagne en raison de son ouverture et de son positionnement économique et industriel.

Ces menaces préexistaient à la guerre en Ukraine. C’est la déstabilisation mondiale des chaînes d’approvisionnement et de transport à cause de la crise de la Covid-19 depuis 2020. C’est aussi la moindre croissance du marché chinois, qui représente pourtant un débouché majeur pour l’industrie allemande, ses voitures ou machines-outils.

Ce sont aussi en Allemagne les infrastructures à moderniser de manière urgente, dans les transports ou le numérique par exemple. C’est encore le manque de main-d'œuvre, notamment qualifiée : ce phénomène européen voire occidental est renforcé en Allemagne par le vieillissement rapide de la population. Selon une étude du ministère fédéral du Travail et des Affaires sociales, il pourrait y manquer près de 240 000 travailleurs qualifiés d’ici 2026.

Ces menaces sont renforcées dans le contexte de la guerre en Ukraine. Le 19 septembre 2022, la banque centrale allemande a estimé dans son bulletin mensuel que le pays est entré dans une phase de “baisse nette, généralisée et durable” de son économie.

Et que les “signes de récession se multiplient”. L’inflation est forte, à près de 8 % sur un an en août 2022, et pèse sur les entreprises comme sur les ménages. Avec des inquiétudes fortes sur l’approvisionnement en énergie cet hiver comme les hivers prochains.

L’Allemagne, comme l’Union européenne d’ailleurs, s’est déjà désengagée massivement des énergies fossiles russes - l’Allemagne dépendait à 55 % du gaz russe avant la guerre en raison des choix des coalitions fédérales précédentes. Mais il reste beaucoup à faire : diversification des approvisionnements, développement des énergies renouvelables, révision des modes de production et sobriété nouvelle. Dans l’intervalle, les prix de l’énergie demeurent en septembre 2022 sept fois plus élevés qu’avant la guerre. Nous reviendrons sur ces enjeux énergétiques, car ils sont au cœur des politiques publiques et de la transition de nos sociétés.

Dans un pays très attaché à l’économie, pacifiste, les conséquences géopolitiques de la guerre en Ukraine sont-elles durables ?

 L’Allemagne a commencé à tirer les conséquences géopolitiques de la guerre dès le 27 février. Ce fut le discours du chancelier fédéral Olaf Scholz devant le Bundestag, trois jours après l’invasion russe, et ce fut depuis le message répété par le gouvernement comme les ministres fédéraux. 

A changement d’époque, le fameux “Zeitenwende” souligné par Olaf Scholz, changement de politique. En relations internationales, dans les relations avec la Russie, sur l’énergie et le nucléaire, sur le soutien public à l’économie et la question de l’endettement public, les lignes politiques ont bougé de manière parfois considérable.

C’est notamment le cas pour les Verts, historiquement pacifistes, qui défendent maintenant les livraisons d’armes à l’Ukraine : il était inimaginable en Allemagne avant le 24 février 2022 de livrer des armes dans une zone de guerre. Un nouveau consensus, un changement de positionnement allié à des montants considérables alloués désormais par exemple à la défense, laissent penser que le changement peut être durable.

Comment l’Allemagne se positionne désormais sur la scène internationale ?

Dans la foulée de la guerre, l’Allemagne a renoncé au principe du “Wandel durch Handeln”, du changement par le commerce, du primat de l’économie dans les relations internationales. En revanche, son engagement multilatéral reste au cœur de sa politique étrangère. Le pays semble avoir pris à bras le corps la question de la responsabilité géopolitique qu’implique son poids politique et économique : révision des relations avec la Russie, investissements dans sa défense dans un cadre européen et otanien.

Dans une tribune publiée dans l’hebdomadaire Die Zeit, la Ministre fédérale des Affaires étrangères Annalena Baerbock écrivait le 12 septembre 2022 à propos de la Russie : “Un retour en arrière est exclu”. Il reste qu’un “changement de politique” demande du temps pour produire des effets concrets et durables. On le voit dans les débats sur les livraisons d’armements par l’Allemagne à l’Ukraine.

Géopolitique, inflation, économie, industrie, énergie, mais aussi inégalités sociales… la rentrée 2022 s’accompagne de nombreuses mutations, liées à la guerre ou à la transition. Articuler court et long termes, faire consensus autour des compromis nécessaires : tout un programme !

Un entretien réalisé par Laurence Aubron